Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 septembre 2025


« Eh les garçons, ça fait vingt-quatre ans que je suis dans le bâtiment, me prenez pas pour un con ! » Le calme règne ce vendredi matin à La Passerelle et le jour se lève sur un mixte de ciel bleu et de nuages noirs.
Je repasse par-dessus les voies ferrées pour prendre le car BreizhGo Deux Cent Un de huit heures trente-cinq. J’en descends à Pornic Centre à neuf heures.
« Trois kilomètres », me dit le sympathique patron de l’Hôtel Restaurant Le Perroquet à qui je demande la mer au plus court. Il me donne un plan. C’est la route qui va au Petit Havre, d’où je suis revenu l’autre fois en voiture avec un serviable autochtone. Elle mène aussi à la Pointe de Pordic.
Je me lance. Trois kilomètres, c’est long pour moi. Je m’en rends compte à mi-chemin. Il n’y a là à voir que des maisons individuelles. Une exception : la chapelle Notre-Dame de la Garde. Dire qu’il va falloir faire ces trois kilomètres dans l’autre sens, mon chauffeur n’étant sûrement pas disponible. Soudain, je me souviens qu’un des très rares bus Dix remonte à dix heures. J’accélère, espérant avoir le temps d’arriver à la Pointe avant l’heure de son départ. Il n’en est rien. De peu. Je vois quand même la mer entre le Petit Havre et cette Pointe.
J’utilise ma carte à voyages gratuits. Quel contrôleur se risquerait sur ce bout de ligne ? Je descends à Rue de l’Ic et vais à la Boulangerie Pâtisserie Nina me récompenser d’une pantoufle (un euro cinquante). C’est l’équivalent du chausson aux pommes en meilleur. Arrivé à L’Arrivée, je l’accompagne d’un allongé. La clientèle d’habitué(e)s a l’esprit atteint par ce qu’elle voit à la télé ou sur son smartphone. « Bientôt, on pourra plus sortir de chez nous. » C’est terrible de vivre dans ces villages, l’enfermement mental qui en résulte (loto et ragots).
J’ai avec moi Par les routes de Sylvain Prudhomme. Je vais voir si j’arrive à lire un roman. Peut-être, c’est de l’autofiction ou ça y ressemble. L’auteur y raconte un ami qu’il appelle l’autostoppeur. A ce propos, j’ai lu que la seule région française dans laquelle l’autostop se pratique encore avec une chance de réussite, c’est la Bretagne, région reculée. Par les routes est le genre de livre où je passe mon temps à corriger l’auteur : J’ai bu la fin de mon café. (J’ai fini mon café.) Pourquoi pas : J’ai mangé la fin de mon gâteau ?
« Je suis revenu avec le bus », dis-je au patron du Perroquet. « Ah, vous avez triché ! » « Vous y allez, vous, là-bas, à pied ? » « J’ai un vélo électrique et une trottinette électrique. Remarquez, je me suis calmé, parce que j’ai des copains qui sont morts avec ces engins. »
Le choix au menu est toujours le même. J’opte pour la galette complète (ne suis-je pas en Bretagne ?) J’en ai connu des meilleures mais la tarte du dessert me sied. « A lundi », me dit le patron. Je ne lui dis ni oui ni non.
Direction L’Arrivée pour encore un p’tit café et de la lecture en attendant de rentrer avec le BreizhGo de quatorze heures quatorze (un horaire facile à mémoriser). « Bisou, mon petit Roland », dit la serveuse à l’un qui s’en va. Tous ces bisous qui se disent et ne se font pas.
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Une arrivante à L’Arrivée : « T’es tout seul, Michel ? » « Oui, j’attends madame », répond l’homme derrière moi. Ouf, j’ai eu peur.
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Vous devez être bien ici, j’ai dit à Julien après un silence. (…) C’est beau, j’ai dit. (…) Tu te plais ici, j’ai demandé. (…) Dix-sept ans, Marie s’est exclamée. J’ai horreur de cette façon de dire qu’on dit, qu’on demande, qu’on s’exclame. Son utilisation systématique par Sylvain Prudhomme me conduit à le ranger parmi les mauvais écrivains.
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Ça y est, Marie-Jo est entrée dans les Côtes-d’Armor, une marcheuse de soixante-dix-neuf ans qui fait des dix-huit kilomètres par jour avec son gros sac à dos tout en cherchant des habitants pour l’héberger. J’aime la façon dénuée de fioritures dont elle raconte ça sur le réseau social Effe Bé. Ça s’appelle Les 10 000 km à pied de Marie-Jo.

26 septembre 2025


De l’agitation à La Passerelle ce jeudi un peu après sept heures et demie. Une simplette vient s’y réfugier après qu’un drogué l’a embêtée dans la rue. Ce type arrive à la porte. « Tu rentres pas ou je te casse la gueule ! » lui crie le patron. L’autre part. « Comme j’aurais plaisir à le démonter », renchérit le patron. « Je me suis déjà accroché avec ce bâtard », raconte-t-il ensuite aux deux habitués qui arrivent. Cet homme a le sang chaud (comme on dit), ça pourrait lui jouer des tours. La simplette va prendre son bus, surveillée par la patronne. Un des habitués parle d’autre chose. De celui qui lui a piqué son boulot chez Leclerc et qu’il va emmerder en semant des herbes invasives dans son jardin. C’est un endroit où l’on se fait justice soi-même.
Le ciel est affreusement noir mais je prends le risque de monter dans le bus E direction Cesson, que l’on prend à la Gare Routière devant La Passerelle, celui de huit heures sept qui fait un détour par le Valais. Les suivants n’y vont pas.
Des gouttes se mettent à tomber lorsque j’en descends à l’arrêt Le Valais. Une autochtone m’indique où trouver la Grève du Valais. Une route pentue y mène. Arrivé en bas, la pluie ayant cessé, je replie mon parapluie. Une fille venue ici avec sa voiture munie d’un A d’apprentie est assise à une table, méditant face au lever du soleil. Nous nous bonjourons. Sur la droite de cette plage, je prends l’escalier qui mène à un promontoire d'où l’on surplombe la Baie de Saint-Brieuc et la Réserve Naturelle, en face Hillion et la Pointe du Grouin.
Je me concentre ensuite sur ce qui m’amène ici : les cabanons colorés de la Cité Baby. Leur installation date des congés payés de mil neuf cent trente-six pour les plus anciens. Ce serait peut-être mieux de les voir sous le soleil. Pas sûr. Leurs couleurs ressortent dans la grisaille. Il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut. Ceux d’en bas sont au plus près de la mer. Parfois au-dessus grâce à des pilotis. Au risque d’être emportés par les vagues. Ceux d’en haut, accrochés à la falaise, ne risquent rien. C’est un endroit un peu secret et foutraque comme je les aime. Tous sont fermés ce jeudi matin. L’un a pour nom La Normande et un autre Copa Cabanon. Ces cabanons appartiennent aux descendants de leurs constructeurs. Ils ont failli disparaître. On voulait les faire détruire au profit de la Réserve Naturelle. La résistance l’a emportée.
Après les avoir bien photographiés en bas puis en haut, je prends le Géherre Trente-Quatre. Me voici parti pour une longue marche qui, je l’espère, me fera arriver au Port du Légué. Elle s’avère un peu sportive avec des escaliers à monter et à descendre et un sentier qui penche parfois du côté de l’embouchure du Gouët que l’on surplombe. A travers les branches, j’aperçois le phare côté Plérin et un bateau de pêche qui part en mer.
J’atteins le Port au niveau de l’écluse, après ce bel exploit pendant lequel je n’ai croisé personne, au moment où la franchissent des bateaux de pêche.
Le soleil point quand je passe le Pont Tournant. Au marché est installé un crêpier à qui j’en achète deux pour deux euros. Je découvre qu’il m’en a mis trois quand je les mange avec un allongé aux Mouettes. Alors que le ciel redevient noir et que souffle un vent frisquet, j’ouvre Toulet. Comme tous les petits bourgeois de tous les pays, ils ont chacun une grosse femme et une grande fille.
Pour déjeuner, j’opte encore une fois pour le Quai Gourmand et je l’atteins rapidement grâce à la passerelle déployée. Pas question d’y entrer avant midi, le personnel fume devant, un œil sur son smartphone. « Ah putain, dès qu’on sort, le temps, il passe trop vite. »
Pour plat, je choisis le travers de porc breton caramélisé aux pommes avec frites, puis en dessert, une tarte au citron meringuée. Une arrivante s’adresse à l’homme de l’accueil : « Y a le monsieur avec son cheval qui demande s’il peut manger à une table dehors. » Effectivement, devant l’entrée du restaurant se trouve un sexagénaire accompagné d’un cheval qui porte son bivouac. C’est oui. L’animal est attaché à un poteau de signalisation pendant que son propriétaire déjeune.
Comme il fait un peu frais, je m’installe à l’intérieur des Mouettes pour le café, une salle sympathique qui rappelle l’intérieur d’un navire. Elle est un peu bruyante au comptoir. Dans un coin, un couple, chacun sur son smartphone. Elle devant un tuto (comme ils disent) sur la pose d’un thermostat. Un expresso et retour à Paul-Jean Toulet. La ville de Saïgon se glorifie de trois ou quatre tigres et de quelques employés des Postes. Contre les uns comme aussi contre les autres une administration prudente a protégé le public par un appareil de grilles …
Je rentre avec le bus D en validant correctement ma carte dix voyages. Il n’y a pas de contrôleurs dans les Transports urbains briochins, me disais-je. Jusqu’à ce que ce matin dans le bus E en montent trois pour contrôler les cinq voyageurs. J’ai tendu ma carte de dix voyages à l’un d’eux qui a regardé si je l’avais passé dans le valideur. Il me l’a rendue et j’ai soupiré intérieurement de soulagement car j’étais en fraude. Sur cette carte, outre mes voyages validés dans les bus, il y avait ceux effectués dans les cars BreizhGo où, faute de valideur, le chauffeur inscrit la date au stylo. Avec cette carte, j’en étais déjà à treize voyages. Il n’y a de la chance que pour les crapules, comme disait je ne sais qui.
C’est une façon de me dédommager de n’avoir pu obtenir une carte mensuelle à mon arrivée à Saint-Brieuc.
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Message reçu à mon retour :
« Vigilance – Risque d’éboulement sur le GR34
Suite aux pluies exceptionnelles des 21 et 22 septembre 2025, le trait de côte est fragilisé.
Les sols peuvent être instables : nous vous recommandons la plus grande prudence si vous empruntez le GR34.
Merci d’adopter un comportement responsable pour votre sécurité et celle des autres. »

25 septembre 2025


Mon séjour à Saint-Brieuc va doucement vers la fin. Je quitterai prochainement mon bizarre logis Air Bibi où je suis exposé comme dans une vitrine. Était-ce une boutique avant ? Ou un garage ? Heureusement, personne en passant ne regarde à l’intérieur. C’est un bel endroit avec un mur de pierre et un confort relatif. Ainsi, pas d’évier dans le coin cuisine. Il faut faire la vaisselle dans le lavabo de la salle d’eau. Ce qui se résume pour moi à laver un verre et un couteau. Cependant, tout y est récent et le prix de la nuitée n’est que de vingt-cinq euros.
J’en sors de nuit ce mercredi matin, voulant prendre un bus à huit heures sept. Eh bien non, il se met à pleuvoir peu avant huit heures, ce qui me conduit à ajourner mon projet. A la place, je vais une nouvelle fois à Quintin avec le car Deux Cent Cinq de huit heures quarante.
Comme la pluie s’est provisoirement arrêtée à l’arrivée, je fais le tour de l’étang dans le sens des aiguilles de la montre, longeant le Gouët (car pas de doute c’est bien lui) entre l’heure et la demie.
Aux premières gouttes, je monte dans le bourg, m’arrête à la Pharmacie du Centre pour un renouvellement de médicaments puis au Toujours un P’tit Trou. Il est dix heures moins dix. Après le café, je retrouve Toulet. En mil huit cent quatre-vingt-onze, il voyage en Espagne. Le train s’arrête devant un appareil de toits violemment silhouettés sur un couchant qui saigne. Deux ou trois déprimés cherchent quoi se dire « T’as vu, Claudia Cardinale est morte. » Pas de groupe de sportives et sportifs envahissants comme hier au Légué. Il faut pourtant que l’auteur de la thèse sur la dérive des continents envoyée à l’Onu vienne me saouler : « Pardon monsieur, vous êtes un grand lecteur ? Je suis écrivain local si ça vous intéresse. » Je l’envoie paître.
Dehors, ça pleut ou ça ne pleut pas. Vers onze heures trente, je remballe et descends à La Vallée où, ma table réservée, je reste boire un autre café (un euro quarante) tandis que ça pleut dur. « Un coup de pinard », demande un vieux d’ici au comptoir.
Cette fois, je déjeune à l’intérieur, une grande salle dans laquelle les ouvriers, avant même d’avoir une table et de poser leur veste, foncent sur le buffet d’entrées. Comme plat, j’opte pour les lasagnes à la bolognaise (fort bonnes) et comme dessert, je vais chercher une crème brûlée (décevante).
Quand je sors, une éclaircie me permet un nouveau tour d’étang que j’effectue en passant par l’autre rive du Gouët, ce qui est un peu risqué car la pente est glissante. Mon banc préféré ayant séché grâce au vent, j’y attends sous un soleil intermittent le BreizhGo de treize heures trente-deux.
Je ne suis pas le seul à y monter. Une vingtaine de lycéens font de même, nous sommes mercredi, les cours se terminent plus tôt. Que des garçons qui n’ont pas une tête de bon élève mais n’en sont pas moins calmes et tranquilles.
                                                                        *
La petite polémique du jour : Charlotte Gainsbourg a-t-elle le droit de jouer le rôle de Gisèle Halimi ? Elle ne serait pas assez pro-palestinienne.
Depuis quand une comédienne doit-elle avoir les idées de son rôle ! Faut-il prendre une anarchiste pour jouer Louise Michel ? Une catholique pour jouer Jeanne d’Arc ? Une négationniste pour jouer Leni Riefenstahl ?
Ce siècle de la morale et de la vertu ne cesse de me consterner.

24 septembre 2025


De la pluie toute la nuit et l’incertitude pour ce mardi. Difficile de décider dans quel ordre aller voir ce qu’il me reste à voir à Saint-Brieuc. A La Passerelle, j’attends que le jour se lève pour en décider. Une femme au comptoir est en pétard suite à un évènement entendu à la radio de Bolloré. Je ne sais pas de quoi elle parle mais ça concerne une école Monte et Souris.
Un peu de pluie revenue me conduit à choisir la Chapelle Saint-Yves qu’on atteint dans le quartier de Cesson avec le bus Teo (un toutes les dix minutes). Il dessert le Pôle Universitaire. J’en descends à l’arrêt suivant, son terminus, Avenir. La conductrice m’indique comment trouver ce que je cherche, derrière, au bout, pas loin. C’est l’ancien Grand Séminaire du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, construit en mil neuf cent vingt-sept par Georges-Robert Lefort. Un bâtiment qui a accueilli pendant quarante ans des centaines de séminaristes. Il a été entièrement restructuré en deux mille dix-sept. C’est aujourd’hui la Maison Saint-Yves, une maison diocésaine qui se veut ouverte sur la ville.
J’y arrive quand le soleil commence à poindre. Il est huit heures quarante. Ça ouvre à huit heures trente. Je suis le premier visiteur. La dame de l’accueil vient avec moi de l’autre côté du cloître pour mettre les lumières dans la Chapelle et m’ouvrir la crypte dans laquelle la communauté prie avant huit heures et demie, me dit-elle.
Cette Chapelle, fort belle, est de style Art déco avec des mosaïques d’Isidore Odorico, des peintures à fresco et un riche mobilier inspiré par le mouvement breton Seiz Breur. L’autel et le sol sont composés de milliers de tesselles colorées, dorées, ou en duo de noir et blanc qui évoque le Gwen Ha Du, le drapeau de la Bretagne. Des arabesques partent à l’assaut des portails en fer forgé, des murs et des allées de la nef, en forme de fleurs et de triskells. Les fresques peintes à même le mortier donnent de la densité aux couleurs, de l’ocre et du safran soulignés par du vert.
Je descends dans la crypte, plus sobre, dont la niche du fond comporte une scène peinte par le Seiz Breur Xavier de Langlais : le péché originel, la présentation de Marie au temple, etc.
Je fais ensuite le tour du cloître. En son centre, le jardin paysager graphique reprend des symboliques religieuses. Sur un mur, une immense fresque, due elle aussi à Xavier de Langlais, représente l’arrivée légendaire de Saint Brieuc au Port du Légué.
Le Port du Légué, c’est là où je vais, le soleil réapparu, par un beau sentier qui descend de derrière la Maison Saint-Yves, dans les bois, jusqu’à la station d’épuration. L’eau du Port est marronnasse, complètement boueuse, mais les abords de celui-ci ne gardent pas trace de l’orage de dimanche qui souleva les plaques d’égout.
Une place au soleil au Bar Les Mouettes, un allongé, et me voici lisant mon livre sur Colette tandis qu’un peu plus loin une fille au téléphone règle les détails de sa vie sentimentale. « Tu viens chercher tes affaires et tu dégages. »
Je suis là à lire tranquillement quand arrive un groupe qui ne trouve rien de mieux à faire que de s’asseoir aux tables voisines de la mienne alors qu’il y a de la place partout ailleurs. Sept femmes et trois hommes, des retraités qui sortent de la salle de sport. La plupart en surpoids malgré l’effort. Je les déteste, surtout les femmes avec leurs rires de ménopausées, et déménage à l’autre bout de la terrasse.
Pour déjeuner, je rejoins Rosengart par le Pont de Pierre, la passerelle n’étant pas en service. Au Quai Gourmand, je commande le menu entier (vingt euros cinquante). D’abord le buffet d’entrées, puis un excellent sauté de canard, figues et pommes de terre au four, enfin en dessert, je choisis au buffet une mousse aux trois chocolats.
En retournant de l’autre côté je croise une journaliste à micro poilu qui veut savoir si j’ai vu quelque chose dimanche (ce qui s’appelle arriver après l’inondation). Aux Mouettes, je m’assois à une table contre le mur, à l’abri du vent devenu frisquet, un café, un verre d’eau et je termine Un été avec Colette. Je n’aurai rien appris de nouveau sur sa vie mais c’est joliment écrit.
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Se gourer. Prendre le Gouët pour le Gouédic et réciproquement. A Saint-Brieuc, c’est le Gouët dont l’embouchure abrite le Port du Légué et c’est le Gouédic que l’on suit quand on descend à pied vers ce Port. Et non le contraire comme j’ai écrit plusieurs fois précédemment. Trop compliqué de corriger.

23 septembre 2025


La Nationale Douze coupée, le Port du Légué envahi par les eaux et la boue, la Cathédrale inondée, pour pleuvoir, il a plu, à Saint-Brieuc ce dimanche soir. Pas de messe ce lundi, annonce l’Evêché. Certains bus déviés, annoncent les Transports urbains briochins (Tub). De la pluie fine toute la journée, annonce Météo France. Je me vêts en conséquence et laisse Toulet et mon sac à dos dans mon logis provisoire, glissant Colette dans ma poche.
Il ne pleut pas quand, dans la nuit, je traverse les voies ferrées par la passerelle, allant vers le petit-déjeuner. J’ai pour projet de me réfugier à Pordic et pour ce faire de prendre le car BreizhGo Deux Cent Un de huit heures trente-cinq. « Un mois de pluie en quelques heures » « Coulée de boue au Légué » « C’est le bordel », on parle de ça à La Passerelle.
En passant le viaduc j’ai vue plongeante depuis le car sur le Port du Légué qui a l’air d’avoir repris ses esprits puisque des voitures y circulent. De gros paquets de nuages noirs ornent le ciel, mais il ne pleut pas quand je descends au centre de Pordic.
L’Hôtel Restaurant Le Perroquet a son grand H allumé, mais il semble fermé. J’en pousse la porte. Son aimable patron sort de la cuisine, à qui je réserve une table pour midi, puis direction L’Arrivée où, après le café, j’ouvre Un été avec Colette d’Antoine Compagnon, la reprise sous forme écrite de sa série du même nom sur France Inter. Le point commun entre Colette et Paul-Jean Toulet : Willy. Elle en fut l’épouse. Il fut l’un de ses nègres (comme on ne doit plus dire). Ici aussi, on parle des dégâts au Légué. « En plus, c’était marée haute hier soir » « Les restaurants, ils ont été inondés, les terrasses et tout ça ». Je lis un bon moment puis une éclaircie se pointant, je vais marcher dans Pordic, découvrant de beaux équipements municipaux, Médiathèque, Salle de Musique, Espace Culturel (dans une ancienne ferme) ainsi que de fières demeures en pierre.
Le vent frisquet me ramène à L’Arrivée où j’attends midi avec un autre café. Une camionnette Beaux Garçons, « coiffeur et barbier briochin » se gare, d’où descend un garçon qui ne l’est pas.
Dans le menu à douze euros cinquante du Perroquet, je choisis l’andouillette frites, celles-ci excellentes. A l’une des tables s’installe un trio. Des vieux parents et leur enfant quadragénaire trisomique. Un kir pour la mère, un pastis pour le père et Coca zéro pour le descendant à qui on ne demande pas ce qu’il veut. Pas d’alcool pour les enfants. La serveuse, qui ne le connaît pas, le tutoie en dépit de son âge.
Comme le soleil est de retour, c’est à la terrasse de l’Arrivée que je reprends Colette (si je puis m’exprimer ainsi). Malgré le bruit de travaux sur la place qui exaspèrent le patron du Perroquet. Il y a seize ans, il a vu les gars mettre des pavés et maintenant on les enlève. C’est qu’à Pordic aussi, il est question de végétalisation.
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De gros dégâts partout sur la côte, de Saint-Brieuc à Paimpol. Navré d’apprendre qu’à Saint-Quay-Portrieux, une partie de la corniche aux belles barrières blanches de la plage du Casino a été emportée par les eaux.

22 septembre 2025


Un beau soleil dominical en cette fin d’été, dont je ne peux commencer à sentir les rayons qu’à dix heures en descendant du car BreizhGo à Binic. Ça ne va pas durer : des orages sont à prévoir dans l’après-midi. Je zone autour du port et fais quelques photos. Malheureusement, à une heure aussi tardive, impossible de ne pas avoir dans le champ des quidams ou des quidames.
Dès onze heures, le ciel se couvre. Je passe à La Sentinelle où j’obtiens en réservation la dernière table disponible en salle. Par prudence, j’en réserve également une pour le dernier dimanche de septembre et apprends qu’ensuite La Sentinelle ne montera plus la garde pendant trois semaines pour cause de vacances.
Assis sur un banc du fond du port, près de la passerelle, sous un soleil un peu revenu, je regarde qui passe, dont beaucoup de chiens attachés à des humains. Deux pères à poussettes sont suivis par trois rejetons. Ils discutent sans s’en soucier. Le dernier, un enfançon traîne à l’arrière pas bien loin de l’eau. Des passantes commencent à s’en inquiéter. Quand ils s’en aperçoivent, l’un court : « Chloé ! ». Cette Chloé aurait pu finir comme celle de la chanson de Mylène Farmer. Un couple repeint la coque de son voilier. Voilà à quoi conduit la possession d’un bateau : travailler le dimanche quand tout autour, ça glandouille.
Au menu à dix-huit euros de La Sentinelle : cassolette bretonne gratinée, mijoté de joue de bœuf mironton et éclair pomme pâtissière. L’homme rubicond est là au comptoir, Dédé, devant son verre de vin blanc.
Il est douze heures trois quarts quand je ressors. C’est le début de la première drache. Vite la petite table ronde au coin à l’intérieur du Narval avant que d’autres s’y précipitent. Est-ce que les Notes d’art de Paul-Jean Toulet vont m’intéresser ? Hélas non. Les femmes d’à côté ont une conversation de femmes. « Elle allait pour se faire enlever les ovaires et le chirurgien lui a donné un coup de scalpel dans la vessie. » « Il faudrait savoir son nom. » « C’est pas parce qu’il en rate une qu’il rate la suivante. » Les Notes de littérature alors ? Pas davantage. J’en arrive à ses Journaux qui débutent par Lettres à moi-même. Bof, bof, bof. Puis vient un Journal de voyage. Là au moins, je lis. Rompu avec S… Elle couchait avec un de mes amis, et semblait sur le point avec un autre. Tout cela quoique je m’en doutasse, me laissait froid, mais tant que caché. Quand on sait les uns les autres qu’on le sait, il en résulte une situation cynique et presque honteuse dont je connais par expérience (Bordeaux) les inconvénients. écrivait-il le huit février mil huit cent quatre-vingt-neuf.
Pendant ce temps, les averses se succèdent. Bientôt, elles sont accompagnées de tonnerre. Je rejoins l’abri du car pendant une éclaircie. Le ciel est noir du côté de Paimpol. Côté Saint-Brieuc, ça tient encore. Je peux rentrer avant que ça tombe. Et quand ça tombe, ça y va.
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Ian Monk est mort ce dix-neuf septembre à l’âge de soixante-cinq ans. De lui, j’ai lu uniquement le recueil Plouk Town que j’avais grandement apprécié. En cette triste occasion, j’ai appris qu’en décembre deux mille quinze sa fille Emilie, âgée de dix-sept ans, s’est tuée en se défenestrant. Cela suite à un harcèlement scolaire de plusieurs années au Collège Privé Notre-Dame de la Paix à Lille. Aucun de ses anciens professeurs n’est venu à ses obsèques.

21 septembre 2025


Première fois que je sors dans Saint-Brieuc alors qu’il fait encore nuit. La Mie Câline est ouverte, cela vaut bien de payer trois euros vingt la formule pain au chocolat café allongé. Le jour se lève pendant que je petit-déjeune, à l’extérieur, sous un ciel nuageux.
Ce samedi vingt septembre, en l’honneur de l’ouverture d’une nouvelle ligne en regroupant quatre des Transports urbains briochins (Tub), les bus sont gratuits. C’est l’occasion d’en emprunter plusieurs dans la journée. Je prends le premier Trente, celui de sept heures quarante-neuf. J’en suis le seul passager. « Prochain arrêt : La Ville Néant », annonce la voix du bus. C’est là qu’habiterait la môme néant de Jean Tardieu si elle existait.
Je descends à Boutdeville (commune de Langueux) où je suis allé à pied depuis le centre du bourg, l’autre jour. L’arrêt est à côté de la gare touristique du Petit Train des Côtes-du-Nord qui fête ses cent vingt ans. Je la laisse derrière moi, prenant le chemin de la digue en direction d’Yffiniac (deux kilomètres et demi). Ce chemin domine les prés-salés où serpente un cours d’eau. Sans le vouloir, je fais envoler des nuées d’oiseaux blancs. En face, c’est Hillion.
J’arrive à Yffiniac à neuf heures, exactement à l’endroit que j’avais repéré en passant avec le bus Vingt, à un pignon de maison livré à l’art de la rue pour une œuvre qui dénote. De la dentelle blanche due à NeSpoon, artiste de Varsovie, née comme telle en deux mille neuf. « La dentelle est désormais ma signature. Pourquoi la dentelle ? Aucune idée. » Cela me plaît.
Je fais un détour par l’église qui n’en méritait pas tant. Près du giratoire Bernard-Hinault est un grand bar tabac peu fréquenté, Chez Guillou, où l’allongé coûte un euro cinquante. A sa terrasse, j’ouvre Toulet. J’en suis à ses romans. Ça commence par Monsieur de Paur homme public que je ne fais que survoler et qui s’achève par les carnets de ce Paur, des aphorismes à la Toulet qui me retiennent, malgré beaucoup de déchets dus à sa misogynie, celle de l’époque. J’en garde trois :
Il y a de la volupté à faire pécher une protestante, parce qu’elle ne peut s’en faire absoudre.
Il faudrait considérer ses opinions comme des costumes, et en changer selon la saison, l’heure et le milieu.
Si un peuple a les seuls gouvernements qu’il mérite, quand mériterons-nous de n’en pas avoir.
Suit Le Mariage de Don Quichotte auquel je préfère ne pas assister. Vers dix heures, le soleil fait une apparition, le vent itou. Je me chauffe un peu, mon livre refermé.
Je prends le bus Vingt terminus Hillion de dix heures cinquante-six et en descends au lieu-dit Saint-René où l’on trouve une élégante église et de quoi déjeuner, mais je vois que la pizzeria ne me convient pas. Je me balade le long d’un ruisseau jusqu’à prendre à onze heures quarante le Vingt qui me ramène à Yffiniac.
Il y a ici aussi une pizzeria, seul restaurant du bourg. La Pizzeria de la Baie où presque toutes les tables sont réservées. On y propose une formule du jour même le samedi. Pour dix-sept euros cinquante, on a le plat du jour, un quart de vin, le dessert et un café. Je choisis la cassolette de lieu et saumon riz salade et le far breton. La bande-son diffuse des reprises au féminin de California Daydream et de San Francisco. Ce restaurant est tenu par toute une famille, papa à la cuisine, maman au service ainsi que leur fille absolument séduisante, il y a même la grand-mère qui dessert les tables. C’est fort bon.
Surprise à la sortie, il pleut. J’entre à côté, au Chez Guillou, et demande un expresso. « Ils annoncent la tempête », me dit la patronne (ces mystérieux « ils » qui décident de notre futur proche). Je continue à tourner les pages sans les lire des romans de Paul-Jean Toulet. Mon amie Nane, je connais mais je ne l’ai jamais lu. La Jeune Fille verte, je connais et j’ai dû l’ouvrir autrefois. Lu ? Pas sûr. Derrière moi, des hommes jouent au billard. Devant moi, des femmes parlent de bas de contention.
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A Yffiniac, on recherche une chatte nommée Caprice qui en a fait un.
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Le giratoire Bernard-Hinault a été inauguré par lui-même en juillet dernier lors du Tour de France qui passait par là. Yffiniac est son lieu de naissance. On trouve là un vélo jaune stylisé et sur le pignon de la maison voisine un énorme maillot jaune et sa photo.

20 septembre 2025


Un délicieux ciel rose au-dessus de la Gare, ce vendredi au lever du jour, alors que je me dirige vers la passerelle afin de prendre une nouvelle fois de l’autre côté, le car BreizhGo Deux Cent Cinq pour Quintin dont il me reste à faire le tour par le circuit « ruelles et venelles ». Presque quatre kilomètres, est-il indiqué sur mon plan. La fin me paraissant peu intéressante, j’ai déjà décidé que j’abrègerai.
C’est une journée ensoleillée. A l’arrivée à La Vallée, je contourne l’étang par le large sentier qui longe le Gouët. Sur l’autre rive de cet étang se dressent le Château et la Basilique qui se reflètent dans l’eau. Je prends un petit bout de route sur la droite et arrive à la cascade du Gouët au-dessus de laquelle se tient un mince calvaire. Je traverse cette route et descends sur la droite. Une passerelle enjambe le Gouët. Me voici ruelle du Gouët. J’entre à gauche dans le faubourg dit de « cure-bourse ». Autrefois s’y trouvaient de nombreux troquets, les soûlauds qui en sortaient se faisaient délester de l’argent qui leur restait par des voyous. Je passe par la venelle de la Berliche (rapport aux tisserands, un tissu de laine). Je remonte la ruelle du Presbytère, lequel a disparu, mais on y trouve la Chapelle Saint-Yves. J’entre dans l’étroite venelle Sonne-Sonne, autrefois prise par les enfants allant à l’école qui y faisaient claquer leurs sabots pour effrayer les démons et les spectres. J’arrive dans le Parc de Roz-Maria que je connais déjà. Je ne vais pas plus loin.
Le centre du bourg est là. A gauche, la Grande Rue où j’entre au P’tit Trou (comme toujours). Pas de marché ce jour, mais la même clientèle aux conversations oiseuses. Un homme établit la généalogie de la famille Duhamel des informations télévisées. Un autre raconte qu’il a envoyé à l’Onu sa thèse sur la dérive des continents.
J’ai besoin de m’aérer la tête. Dès que j’ai terminé d’écrire mon court circuit des ruelles et venelles de Quintin, je vais lire Toulet au bord de l’étang. J’en suis à Vers trouvés sur un mirliton :
Quand tu as bu, M…, sinistre lesbienne,
On dirait Waterloo, Waterloo, morne et pleine.
Onze heures sonnent à la Basilique avec un son de casserole. Est-ce pour cela que cette église ne sonne que les heures ? C’est un homme aujourd’hui qui court autour de l’étang, nettement moins intéressant que l’étudiante de l’autre jour. Parfois, un poisson saute et fait des ronds dans l’eau. Chez Toulet, j’arrive à Les Trois Impostures, recueil d’aphorismes paru de son vivant :
Le miracle de la charité, ce fut de la faire faire par les pauvres. Cela s’appelle : mutualité.
Direction le restaurant à buffet d’entrées La Vallée pour le déjeuner. Il fait chaud. Je choisis une table à l’ombre. Le plat du jour est joue de bœuf façon bourguignonne avec pommes vapeur. Mon dessert : une mousse au chocolat. Les ouvriers de la table d’à côté rêvent de propriété privée. « Quand t’as tout posé tes clôtures, t’es content. »
Pour lire encore un peu Toulet avant le car BreizhGo du retour, je choisis un banc de l’étang à l’ombre face au Château et à la Basilique. Ce vendredi est la journée la plus chaude depuis mon arrivée dans les Côtes d’Armor.
Rentré à Saint-Brieuc, je constate que la terrasse de la Passerelle est à l’ombre en ce début d’après-midi. Elle s’impose pour mon nouveau café Toulet :
Glissant étroitement sa chair hors d’un peu de linon qui la dérobait encore, elle serra son ami entre ses bras :
-Je sais bien, dit-elle, que vous avez couché avec maman ; mais tout de même je ne crois pas que je sois votre fille.
-Hélas, répondit-il, avec autant de sensibilité que de politesse.
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A Quintin, il est risqué d’emprunter la venelle de la Couaille par où passaient les séminaristes, une descente très raide, à tomber sur le cul, beaucoup en ont eu le coccyx endolori. Quant au chemin de la Haute Folie où des femmes faisaient folie de leur corps, aucune rencontre de ce type n’étant désormais envisageable, il est inutile d’y aller.

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