Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

3 octobre 2025


Chaque matin, j’espère que le miracle de l’après Colmar va se reproduire et l’écran noir de mon ordinateur disparaître. Il n’a toujours pas lieu ce jeudi matin. Je décide d’emporter l’appareil à Saint-Brieuc afin de le montrer à un spécialiste.
J’achète un pain au chocolat en bas de mon logis provisoire. Il est sept heures trente, le Kreisker, hôtel bar tabac, ouvre ses portes à côté de l’ébouriffante construction triangulaire rose. J’y bois l’allongé (un euro cinquante) et feuillette Le Télégramme. Puis j’attends le BreizhGo de huit heures vingt-huit à l’arrêt Casino.
J’en descends à l’arrêt Les Champs. Je rejoins le Bistrot de la Poste, de nouveau ouvert, un peu repeint, pour un café, en attendant dix heures. Le serveur m’indique une boutique de téléphonie où l’on m’indique le seul réparateur d’ordinateurs de la ville près du Parc des Promenades. L’homme qui me reçoit refuse de me donner un avis. Il faut que son collègue garde l’appareil deux ou trois jours et évidemment ce n’est pas gratuit. Je refuse et me voilà sans solution. J’achète une carte Esse Dé à la Fnaque, ne pouvant plus transférer mes photos de la mémoire interne. Saint-Quay-Portrieux est si photogénique.
Je fais aussi des courses chez U, le magasin Coccinelle de Saint-Quay étant horriblement cher, puis je vais attendre le Deux Cent Un du retour d’onze heures cinquante-deux à La Taverne où Hortense m’apporte un nouveau café. « Lecornu annonce qu’il va augmenter la retraite des femmes, c’est bien ça ! » s’exclame une vieille bourgeoise. Des syndiqués à chasuble passent sur la place. Je découvre que l’arrêt Les Champs et sur le parcours de la manif. Un employé des Tub invite tous les usagers des bus à aller les prendre à la Gare. Heureusement, je suis en avance et arrive là-haut avant le départ de mon BreizhGo. J’apprends le problème à son chauffeur qui téléphone pour avoir confirmation et nous voici partis avec un long détour en périphérie.
Je descends à l’arrêt La Poste à cinquante mètres de mon logis. Je sors de mon sac l’ordinateur moribond et redescends me procurer un bagnat au thon et une part de tarte à la mirabelle (sept euros) à la boulangerie d’en bas. Je pique-nique sur mon banc bleu d’hier soir. Excellente, la tarte.
Par le Géherre je rejoins le Café de la Plage et le trouve à nouveau fermé. « C’est normal », me dit-on à côté aux Valseuses où je prends le café sur un tonneau métallique à siège haut (deux euros). Il fait trop de vent pour lire mais j’y reste jusqu’à ce que ça ferme à quinze heures.
Je trouve un banc abrité entre l’Ile de la Comtesse et Port d’Armor pour me livrer au vice impuni. C’était une des dernières journées d’automne qui inquiètent et charment à la fois, qui sont comme la tristesse après l’amour, quand une femme de trente ans vous embrasse avec désespoir pour retenir plus longtemps ces voluptés qui l’abandonnent. écrit Paul-Jean Toulet.
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Echange de mails, via mon smartphone, avec le fameux Cercle Informatique Quinocéen dont les permanences ne sont pas assurées. On y promet, en cas de panne d’un ordinateur, le prêt d’un remplaçant pour un mois contre vingt-cinq euros pour les non adhérents. C’est affiché sur la porte de l’ancienne Mairie. Les ordinateurs sont indisponibles, me répond-on, sans cacher qu’on n’a pas du tout envie de m’aider.
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Dès qu’il s’agit d’informatique, on n’a affaire qu’à des hommes, et pas aux plus sympathiques.

2 octobre 2025


Une grande maison bourgeoise nommée Villa Les Marronniers, divisée en huit appartements. Mon studio Air Bibi est en haut à droite, au second sous les toits, numéro six. « Vous ne serez pas dérangé par les voisins, m’a dit mon logeur. Ce ne sont que des résidences secondaires et personne n’est là en ce moment. » Effectivement pas un bruit, d’autant que cette villa est en retrait de la rue, dans une cour, derrière la boulangerie.
Celle-ci est fermée le mercredi mais on n’y travaille quand même car c’est l’atelier des deux autres. C’est au Fournil du Casino que j’achète mon pain au chocolat (un euro vingt). Je traverse la place. Disparu Le Mustang, remplacé par Le Quay des Brunes. Refait mais toujours bar à jeux. « Ça fait un an, me dit la volubile serveuse, que ma patronne a repris. Y’a que des femmes ici. » Je lui demande ce qu’est devenu le patron du Mustang. Il travaille dans un garage de motos. Et sa fille ? Dans un café à Saint-Brieuc ou à Guingamp. Je me souviens de cette fille superbe dans sa combinaison de motarde. « A Rouen, m’avait-elle dit, c’est pas loin, vous reviendrez. » Je suis revenu. Elle n’est plus là. Autres absents, les habitués, notamment le super habitué autour duquel les autres s’attablaient, l’habitué en chef.
Une belle journée ensoleillée commence. C’est aujourd’hui l’ouverture de la pêche à la coquille Saint-Jacques. Ça émoustille la serveuse. Lisa qu’elle s’appelle. Vingt-cinq ans. Je sais ça sans avoir posé de questions.
Sorti de là, je vais par l’intérieur au Port du Portrieux. Je passe devant Le Poisson Rouge fermé le mercredi et reviens par le Géherre. Jamais je n’avais vu le large aussi bien. Je distingue parfaitement la maison phare de l’Ile Harbour, premier phare de la baie de Saint-Brieuc automatisé depuis mil huit cent cinquante. A l’arrivée plage du Casino, je découvre le Café de la Plage fermé aussi le mercredi.
Je m’assois sur un banc au-dessus de la plage sur laquelle un engin remonte le sable. Les dégâts du gros orage sont importants et nécessiteront une grosse réparation. Je rejoins par l’intérieur le Port du Portrieux et me dirige vers la guirlande lumineuse de La Marine « bar à vin mangerie ». Je réserve une table pour midi et y bois un café en terrasse. Le dommage, ce sont les voitures garées qui empêchent de voir la mer. C’est là que j’ouvre Toulet. … une Cambodgienne passa, petite, la tête renversée, l’air d’un page, et qui, sous un caleçon bouffant vert, et un corsage jaune d’or, donnait presque immédiate la sensation de sa nudité.
Au menu du jour à La Marine : feuilleté aux crevettes, carbonnade flamande, gâteau aux noix pour dix-neuf euros cinquante. Je quitte cette mangerie content. Au début de la jetée, je m’installe sur le premier banc jaune (des jaunes alternent avec des bleus, les couleurs de l’Ukraine) pour me dorer au soleil face au Port du Portrieux, port d’échouage en bord de plage, et un peu de Toulet : 25 juillet 1903, de Paris. Ah ! quand elle nous reçut seule, qu’elle fut touchante ! Un rouge vif avait soudain envahi ses joues laiteuses tandis qu’avec cette volubilité dont les grandes filles pensent cacher leur embarras, elle expliquait que sa mère allait rentrer tout de suite.
J’y ai, au bout d’un moment, trop chaud et vais prendre un café à La Marine où il y a un poil d’air. Derrière moi, un couple termine de déjeuner, dont l’homme est flatté d’être invité à la réunion de rentrée de Xavier Bertrand à Saint-Quentin.
L’Office de Tourisme m’ayant dirigé vers le Cercle Informatique Quinocéen pour ma panne d’ordinateur, je me charge de celui-ci et me présente à la permanence de seize heures trente du mercredi dans l’ancienne Mairie. Personne.
Mon logis Air Bibi, très bien situé, me permet vers dix-neuf heures par la rue des Marronniers puis l’allée de la Barbe Brûlée d’aller m’asseoir sur un banc bleu au pied de la turquerie dont j’aperçois le dôme par ma fenêtre. A ma droite, l’Ile de la Comtesse éclairée par le soleil. A ma gauche, un peu caché par les arbres, le Sémaphore. Quand l’ombre recouvre l’île, je rentre.
                                                                   *
Ce que je n’avais pas raconté sur le patron du Mustang lors de mon précédent séjour ici, c’est que sa jolie femme, vue une fois, venait de se barrer avec un client. « Ce qui nous a tué, c’est de travailler ensemble. » « J’entends tout quand je suis à l’appart au-dessus, tu crois que je savais pas. » « Il était jamais là quand elle était pas là. » Leur jolie fille restait neutre et discrète quand des habitués lui posaient des questions du genre « On voit plus ta mère ? ».

1er octobre 2025


Un bon moment autour d’un verre d’alcool et du saucisson avec le couple de mes hôtes et leurs deux remuants garçons, lundi soir, dans leur loft ébouriffant, dont on ne devine pas l’étendue de l’extérieur. Une ancienne blanchisserie, apprends-je, d’où la vitrine de mon petit logis qui était la boutique.
Ce mardi matin, je quitte Saint-Brieuc pour aller non loin, à Saint-Quay-Portrieux, endroit où je me plais bien. Pour ce faire, je prends le car BreizhGo Deux Cent Un de neuf heures trente, après avoir une dernière fois petit-déjeuné à La Passerelle et laissé la clé Air Bibi dans la boîte aux lettres.
Le soûlant quand on voyage en car avec une valise, c’est qu’il faut la fourrer dans un coffre latéral, puis direction Paimpol. Il fait un magnifique soleil. Je revois le Port du Légué de haut, Pordic, Binic, ensuite c’est Etables-sur-Mer et enfin je touche le but.
Je descends à l’arrêt Casino avec la trouille que le chauffeur redémarre avec ma valise. Heureusement non. J’ai rendez-vous avec mon logeur à douze heures quinze, alors direction le Café de la Plage, inchangé, avec sa terrasse de bord de mer au soleil. De là, je fais ma première photo de la superbe piscine d’eau de mer dont le plongeoir se reflète dans le bassin. Je réserve une table pour le déjeuner à une heure indéterminée puis bois mon premier café de Saint-Quay en terrasse près de la belle barrière blanche.
La mer descend doucement dans laquelle trois femmes en combinaison longent la côte. Trois autres en maillot se baignent. Un homme déploie le trépied de son appareil photo au-dessus de la piscine. A la table voisine, un couple. L’homme envoie un message vocal : « On t’a déjà dit de ne pas diffuser ta vie sur les réseaux sociaux, sois un peu prudente. Tu es toujours en procédure, je te rappelle. » Quelques petits bateaux se laissent porter par l’eau. Mon voisin reçoit la réponse puis commente : « J’aime profondément ma fille mais qu’est-ce qu’elle est débile. Elle se croit adulte avec sa psychologie à deux balles. »
Il faut entrer dans la cour du portail en fer forgé vert à gauche de la boulangerie, m’a écrit mon logeur. La boulangerie est celle du milieu du bourg. J’y suis avant l’heure dite évidemment. Comme je le craignais, je reçois un message de sa part m’annonçant un retard de quinze minutes à cause d’un rendez-vous prolongé. Je lui écris de faire fissa. Le Café de la Plage ferme sa cuisine à treize heures trente. Tous ces gens ont des obligations et celui qui n’en a pas les subit.
Un jeune homme très sympathique. Il me présente rapidement le logement, me montre comment utiliser la télé, déplie le canapé-lit à ma demande puis me conduit au Café de la Plage. Au menu du jour à vingt et un euros : rillettes de cochon maison, merlu tagliatelles à l’encre de sèche sauce beurre de cidre et trio de mochi. Je sors de table à quatorze heures, c’est une expérience pour moi.
En sortant, je m’installe en terrasse à la table haute près du lampadaire à goéland qui fut la mienne lors de mon précédent séjour. C’est un lieu qui conduit à observer. Je vois dans le lointain grâce au temps clair et à mes yeux neufs. Pour la première fois, j’aperçois le champ d’éoliennes marines au large de Saint-Brieuc. C’est vraiment loin, il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Le goéland est toujours à l’œuvre. Celle qui mange tardivement en fait les frais. Après qu’il l’a ensorcelée, il fonce sur sa table. « Attention, Madame », lui crie le serveur. Trop tard. Je ne sais ce qu’il a chipé, mais il a renversé le verre de vin sur le pantalon de la dame. Le serveur lui en apporte un autre.
                                                                      *
Ouf, je peux à nouveau publier mon journal. L’ami d’Orléans a fait le nécessaire. Las, une mauvaise surprise m’attend. Quand je veux remettre en marche mon ordinateur, comme au retour de Colmar, il ne veut pas redémarrer.

30 septembre 2025


Il fait froid ce lundi, jour de ma fête, lorsque je prends le bus D de huit heures trente-deux, terminus La Ville Hervy. Je descends au même endroit qu’en début de séjour : Place Bellevue. Il ne s’agit pas cette fois de faire le tour de la Pointe du Roselier mais de longer l’embouchure du Gouët, côté Plérin donc, du Phare au Port du Légué.
Le Géherre est là, que je prends sur la droite. Il est durant peu de temps un chemin de terre. Il faut ensuite suivre le bord de route. Un embranchement permet de faire la promenade au Phare. Lequel a pour nom : Feu de la Pointe de l’Aigle. Remonté sur la voie qui mène au port, j’arrive à la hauteur de la Tour de Cesson qui se dresse sur l’autre rive en haut de la butte. Il s’agissait de protéger l'embouchure du Gouët et la ville de Saint-Brieuc des attaques de pirates et autres agresseurs. Une ruine aujourd’hui, que je n’aurai entrevue que de loin et c’est bien ainsi. Je longe ensuite l’Ile aux Lapins où l’on ne doit pas voir la queue d’un car on y travaille industriellement. C’est ensuite l’avant-port. Quelques voiliers, plus ou moins abandonnés, gisent sur le flanc car c’est marée basse. J’aperçois, toujours dans le quartier de Cesson, la flèche de la Chapelle Saint Yves et j’arrive au Port de Pêche dont beaucoup des bateaux sont sortis en mer.
Il est dix heures quand j’aborde le Bar Les Mouettes. Le froid me conduit à m’installer à l’intérieur. Une table surélevée qui me permet un œil sur l’extérieur tandis que j’ai l’autre sur Paul-Jean Toulet toujours en voyage. Nous arrivons à Canton. L’hôtel est plein. On nous loge dans une ambulance.
Le ciel bleu gagne du terrain mais les nuages font de la résistance. Ils sont impressionnants dans cette Baie, bourgeonnants et noirs, le plus souvent inoffensifs. Je passe côté Saint-Brieuc, en faisant le tour du Port par le Pont de Pierre et attends sur un banc que Le Quai Gourmand veuille bien ouvrir, c’est-à-dire midi pile.
Mon choix se porte sur le poulet noir breton rôtissoire et ses frites. Auparavant, je me sers dans le buffet d’entrées qui vaut le prix, des produits de la mer frais, variés, bien présentés et renouvelés chaque jour. En dessert, je choisis la tarte coco ananas.
Je traverse ensuite le Port par la passerelle qui a été installée pendant mon repas et rentre avec le premier bus D. Il faut songer à faire mon bagage et si possible régler mon souci du jour : impossible de me connecter au site qui permet de propulser mes écritures dans le monde entier.
                                                                        *
J’aurais pu tricher, ne pas payer le bus grâce à mon ticket visé à la main dans les cars BreizhGo mais cela aurait été bête de prendre une amende le dernier jour de mon séjour à Saint-Brieuc. Évidemment, pas de contrôle ni à l’aller ni au retour.

29 septembre 2025


« Nous pouvons vous proposer de venir déjeuner avec nous demain midi ou de prendre un café vers 14h. Nous sommes également disponibles lundi à 18h30 pour vous offrir un verre. », m’écrit ma logeuse hier après-midi. Je lui réponds que le dimanche pour moi c’est Binic mais que je serai ravi de prendre un verre avec elle et son mari lundi soir.
En ce dernier dimanche de septembre, avant de prendre le car BreizhGo de neuf heures trente, je fais une série de photos de la Gare de Saint-Brieuc et de sa passerelle.
Que des solitaires à bord de ce car au départ. Ils ne portent pas la joie de vivre sur le visage. Pas des touristes, assurément. Je n’en vois quasiment pas dans la Baie de Saint-Brieuc. Quand même, aux Champs montent un duo de filles à sac à dos et une femme avec son enfant. Après Pordic, une brouillasse se met à tomber.
J’ai la chance de trouver ma petite table ronde libre au Narval.. Derrière moi une tablée de huit bicyclistes en maillot jaune de Guingamp, moule bite et chaussures qui donnent une démarche de pingouin. Dès qu’il pleut, on préfère le bistrot au vélo.
Mon petit-déjeuner terminé, je fais une bonne balade au-dessus de la plage puis au long de celle-ci, un peu sous le parapluie, davantage sans.
A midi moins trois, j’entre à La Sentinelle où, je l’espère, m’attend la table réservée. On veut me donner la mauvaise table dans l’entrée. Une personne seule, pas d’ici, quand c’est complet, on essaie de la coller au mauvais endroit. Je proteste, indique la table que j’avais choisie et qui devait être notée. J’obtiens satisfaction. Dix minutes plus tard, madame Labrousse hérite de la table dont je n’ai pas voulu et me jette un regard noir.
C’est le dernier jour d’ouverture avant trois semaines de vacances. Le rubicond Dédé est au comptoir avec son verre de blanc. Il en demande un autre car trois semaines, ça va être long. Il ira ailleurs, j’en suis sûr. La très jolie serveuse n’est pas là mais il en est une autre qui me plaît à cause de son air espiègle. Au menu à dix-huit euros : gratiné de poireaux au chèvre, jambon braisé sauce porto champignons et sabayon aux agrumes.
Il y a un poil de ciel bleu quand je sors de La Sentinelle. Je prends le risque d’une table en terrasse au Narval pour le café. Celui-ci bu, j’ouvre Par les routes et lis ceci : De la branlette j’ai pensé, comme il m’arrivait souvent de penser de beaucoup de livres qui font du faux style. Exactement ce que je pense de son livre à Sylvain Prudhomme. Les épisodes sont de plus en plus invraisemblables. Dans le dernier, l’autostoppeur réunit dans une fête improvisée à Camarade, ceux et celles qui l’ont pris en stop. Une chose inimaginable. Qui irait rejoindre un autostoppeur en traversant la moitié de la France sur une simple invitation envoyée par mail. Ensuite il disparaît pour de bon. Pas de l’autofiction donc, comme je le croyais au début, mais de la fiction sans le moindre intérêt. Je me demande ce que font les livres de cet auteur dans la collection L’Arbalète de Gallimard, où l’on trouve de bons livres, que j’ai lus, signés Michèle Audin, Thomas Clerc, Jean Genet, Noël Herpe, Frédéric Pajak, Hervé Guibert. Allez, hop, retour à la boîte à livres de Binic pour ce roman. Je remets aussi Un été avec Colette d’Antoine Compagnon après avoir noté ceci, tiré de Mes Apprentissages :
Elles sont nombreuses, les filles à peine nubiles qui rêvent d’être le spectacle, le jouet, le chef-d’œuvre libertin d’un homme mûr. C’est une laide envie qu’elles expient en la contentant, une envie qui va de pair avec les névroses de la puberté, l’habitude de grignoter la craie et le charbon, de boire l’eau dentifrice, de lire des livres sales et de s’enfoncer des épingles dans la paume des mains.
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A Binic, au-dessus de la plage, une bite turgescente sert de point de repère aux gens de la mer. L’autre jour dans le car, un trio de branlotins :
On va à Binic
La ville où on nique
(les Alfred Jarry d’aujourd’hui)

28 septembre 2025


Le bus Vingt de sept heures quarante et une, terminus Hillion Centre, se présente avec cinq minutes d’avance en bas du boulevard Clemenceau ce samedi. Sa conductrice me laisse monter mais il y fait presque aussi froid qu’à l’extérieur.
Je suis le seul passager durant tout le trajet. Au moins cette fois ai-je payé mon ticket. Nous roulons vers le beau ciel orangé du lever de soleil.
A l’arrivée, direction la boulangerie pour un combo pain au chocolat café allongé à deux euros cinquante que je consomme sur mon banc.
Je descends ensuite à la plage de l’Hôtellerie et cette fois direction Pisse Oison (ou Pissoison) et au-delà Yffiniac par le Géherre qui surplombe la Réserve Naturelle. En face, c’est Langueux et son Boutdeville. Un sentier tranquille où je ne risque pas ma vie et où je rencontre quelques beaux arbres et quelques coureurs. A un moment, il s’élargit pour que des tracteurs puissent circuler. En contrebas de la digue, côté terre, on cultive. Un panneau m’explique que c’est la duchesse de Mercœur qui fit venir ici des paludiers du Poitou. A la fin du dix-neuvième siècle, seules deux familles restaient sur cette zone, un déclin dû à la concurrence des salins de l’Atlantique, à l’envasement et à la poldérisation. Le polder de Pissoison a été créé en mil sept cent quatre-vingt-cinq. On y pratique le maraîchage de plein champ, la culture des céréales et le pâturage. Je vois là des poireaux violets et de forts beaux choux qui me font penser à Alfred Jarry. Des chevaux aussi, ça change des oiseaux. Côté lagune farfouillent trois humains descendus d’une camionnette de la Réserve Naturelle Nationale Baie de Saint-Brieuc. Le chemin s’étrécit à nouveau. Je photographie un petit pommier bien chargé, d’un côté des fruits rouges, de l’autre des fruits jaunes. La greffe explique cela. J’en connais un rayon sur le sujet, rapport à la profession paternelle et grand-paternelle. Malheureusement, il faut finir sur une chaussée goudronnée pour atteindre le bourg d’Yffiniac. La rue des Trois Petits Ponts. Ils sont surtout étroits. Pas question de les emprunter quand passe une voiture. Je sais que je suis arrivé quand j’aperçois le giratoire Bernard-Hinault.
Je réserve une table au jeune homme qui sort la terrasse de la Pizzeria de la Baie puis j’entre à côté au Guillou Café pour un café verre d’eau. Il est dix heures quarante. Un vieil homme à casquette raconte qu’il va recevoir la médaille maritime des mains du Préfet Maritime. A quoi pense la grande fille dans les quatorze ans qui tient compagnie à son père au comptoir tandis qu’il boit son pastis et perd son argent dans des jeux à gratter ? 
J’ai du temps pour lire ce mauvais écrivain nommé Sylvain Prudhomme. Page cent vingt-deux de son Par les routes : il a bu la fin de son café. (ce n’était donc pas un accident). Le chapitre dix-sept commence par Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui partent. Et ceux qui restent. (ça alors !). L’auto-stoppeur de Par les routes est souvent parti bien sûr. Son ami le narrateur couchera-t-il avec sa femme ? Il faut attendre la page cent quatre vingt-quatre pour qu’elle passe à l’acte. Le buisson noir de son sexe que je découvrais pour la première fois. (dans la même phrase, le cliché du buisson et le pléonasme découvrir pour la première fois.)
La formule à dix-sept euros cinquante de la Pizzeria de la Baie, incluant quart de vin et café, a pour plat du jour la joue de porc sauce poivre jardinière de légumes et pour dessert une tarte noix de coco chocolat chaud. A part moi et le couple de la table voisine ne mangent ici que des habitués à qui la mère, la fille et la grand-mère font la bise pour de vrai. Le père ne peut sortir de la cuisine.
Je rentre avec le treize heures vingt-deux et pas tout seul. J’en descends au terminus en bas du boulevard Clemenceau. Peu avant le Bistrot Gourmand où je m’apprête à boire un autre café, je photographie une maison devenue crêperie. Sur son mur une plaque qu’on ne peut pas rater indique que de mil huit cent soixante dix-neuf à mil huit cent quatre-vingt-huit a vécu ici le jeune Alfred Jarry. « Fermeture exceptionnelle pour deuil dans la famille » est-il écrit sur la porte. Merdre.
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A Saint-Brieuc des Choux tout est plus ou moins bête,
Et les bons habitants ont tous perdu la tête.
A deux lieues est la mer, à deux pas les fumiers (…)
(Alfred Jarry en mai mil huit cent quatre-vingt-six, à l’âge de treize ans)

27 septembre 2025


« Eh les garçons, ça fait vingt-quatre ans que je suis dans le bâtiment, me prenez pas pour un con ! » Le calme règne ce vendredi matin à La Passerelle et le jour se lève sur un mixte de ciel bleu et de nuages noirs.
Je repasse par-dessus les voies ferrées pour prendre le car BreizhGo Deux Cent Un de huit heures trente-cinq. J’en descends à Pornic Centre à neuf heures.
« Trois kilomètres », me dit le sympathique patron de l’Hôtel Restaurant Le Perroquet à qui je demande la mer au plus court. Il me donne un plan. C’est la route qui va au Petit Havre, d’où je suis revenu l’autre fois en voiture avec un serviable autochtone. Elle mène aussi à la Pointe de Pordic.
Je me lance. Trois kilomètres, c’est long pour moi. Je m’en rends compte à mi-chemin. Il n’y a là à voir que des maisons individuelles. Une exception : la chapelle Notre-Dame de la Garde. Dire qu’il va falloir faire ces trois kilomètres dans l’autre sens, mon chauffeur n’étant sûrement pas disponible. Soudain, je me souviens qu’un des très rares bus Dix remonte à dix heures. J’accélère, espérant avoir le temps d’arriver à la Pointe avant l’heure de son départ. Il n’en est rien. De peu. Je vois quand même la mer entre le Petit Havre et cette Pointe.
J’utilise ma carte à voyages gratuits. Quel contrôleur se risquerait sur ce bout de ligne ? Je descends à Rue de l’Ic et vais à la Boulangerie Pâtisserie Nina me récompenser d’une pantoufle (un euro cinquante). C’est l’équivalent du chausson aux pommes en meilleur. Arrivé à L’Arrivée, je l’accompagne d’un allongé. La clientèle d’habitué(e)s a l’esprit atteint par ce qu’elle voit à la télé ou sur son smartphone. « Bientôt, on pourra plus sortir de chez nous. » C’est terrible de vivre dans ces villages, l’enfermement mental qui en résulte (loto et ragots).
J’ai avec moi Par les routes de Sylvain Prudhomme. Je vais voir si j’arrive à lire un roman. Peut-être, c’est de l’autofiction ou ça y ressemble. L’auteur y raconte un ami qu’il appelle l’autostoppeur. A ce propos, j’ai lu que la seule région française dans laquelle l’autostop se pratique encore avec une chance de réussite, c’est la Bretagne, région reculée. Par les routes est le genre de livre où je passe mon temps à corriger l’auteur : J’ai bu la fin de mon café. (J’ai fini mon café.) Pourquoi pas : J’ai mangé la fin de mon gâteau ?
« Je suis revenu avec le bus », dis-je au patron du Perroquet. « Ah, vous avez triché ! » « Vous y allez, vous, là-bas, à pied ? » « J’ai un vélo électrique et une trottinette électrique. Remarquez, je me suis calmé, parce que j’ai des copains qui sont morts avec ces engins. »
Le choix au menu est toujours le même. J’opte pour la galette complète (ne suis-je pas en Bretagne ?) J’en ai connu des meilleures mais la tarte du dessert me sied. « A lundi », me dit le patron. Je ne lui dis ni oui ni non.
Direction L’Arrivée pour encore un p’tit café et de la lecture en attendant de rentrer avec le BreizhGo de quatorze heures quatorze (un horaire facile à mémoriser). « Bisou, mon petit Roland », dit la serveuse à l’un qui s’en va. Tous ces bisous qui se disent et ne se font pas.
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Une arrivante à L’Arrivée : « T’es tout seul, Michel ? » « Oui, j’attends madame », répond l’homme derrière moi. Ouf, j’ai eu peur.
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Vous devez être bien ici, j’ai dit à Julien après un silence. (…) C’est beau, j’ai dit. (…) Tu te plais ici, j’ai demandé. (…) Dix-sept ans, Marie s’est exclamée. J’ai horreur de cette façon de dire qu’on dit, qu’on demande, qu’on s’exclame. Son utilisation systématique par Sylvain Prudhomme me conduit à le ranger parmi les mauvais écrivains.
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Ça y est, Marie-Jo est entrée dans les Côtes-d’Armor, une marcheuse de soixante-dix-neuf ans qui fait des dix-huit kilomètres par jour avec son gros sac à dos tout en cherchant des habitants pour l’héberger. J’aime la façon dénuée de fioritures dont elle raconte ça sur le réseau social Effe Bé. Ça s’appelle Les 10 000 km à pied de Marie-Jo.

26 septembre 2025


De l’agitation à La Passerelle ce jeudi un peu après sept heures et demie. Une simplette vient s’y réfugier après qu’un drogué l’a embêtée dans la rue. Ce type arrive à la porte. « Tu rentres pas ou je te casse la gueule ! » lui crie le patron. L’autre part. « Comme j’aurais plaisir à le démonter », renchérit le patron. « Je me suis déjà accroché avec ce bâtard », raconte-t-il ensuite aux deux habitués qui arrivent. Cet homme a le sang chaud (comme on dit), ça pourrait lui jouer des tours. La simplette va prendre son bus, surveillée par la patronne. Un des habitués parle d’autre chose. De celui qui lui a piqué son boulot chez Leclerc et qu’il va emmerder en semant des herbes invasives dans son jardin. C’est un endroit où l’on se fait justice soi-même.
Le ciel est affreusement noir mais je prends le risque de monter dans le bus E direction Cesson, que l’on prend à la Gare Routière devant La Passerelle, celui de huit heures sept qui fait un détour par le Valais. Les suivants n’y vont pas.
Des gouttes se mettent à tomber lorsque j’en descends à l’arrêt Le Valais. Une autochtone m’indique où trouver la Grève du Valais. Une route pentue y mène. Arrivé en bas, la pluie ayant cessé, je replie mon parapluie. Une fille venue ici avec sa voiture munie d’un A d’apprentie est assise à une table, méditant face au lever du soleil. Nous nous bonjourons. Sur la droite de cette plage, je prends l’escalier qui mène à un promontoire d'où l’on surplombe la Baie de Saint-Brieuc et la Réserve Naturelle, en face Hillion et la Pointe du Grouin.
Je me concentre ensuite sur ce qui m’amène ici : les cabanons colorés de la Cité Baby. Leur installation date des congés payés de mil neuf cent trente-six pour les plus anciens. Ce serait peut-être mieux de les voir sous le soleil. Pas sûr. Leurs couleurs ressortent dans la grisaille. Il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut. Ceux d’en bas sont au plus près de la mer. Parfois au-dessus grâce à des pilotis. Au risque d’être emportés par les vagues. Ceux d’en haut, accrochés à la falaise, ne risquent rien. C’est un endroit un peu secret et foutraque comme je les aime. Tous sont fermés ce jeudi matin. L’un a pour nom La Normande et un autre Copa Cabanon. Ces cabanons appartiennent aux descendants de leurs constructeurs. Ils ont failli disparaître. On voulait les faire détruire au profit de la Réserve Naturelle. La résistance l’a emportée.
Après les avoir bien photographiés en bas puis en haut, je prends le Géherre Trente-Quatre. Me voici parti pour une longue marche qui, je l’espère, me fera arriver au Port du Légué. Elle s’avère un peu sportive avec des escaliers à monter et à descendre et un sentier qui penche parfois du côté de l’embouchure du Gouët que l’on surplombe. A travers les branches, j’aperçois le phare côté Plérin et un bateau de pêche qui part en mer.
J’atteins le Port au niveau de l’écluse, après ce bel exploit pendant lequel je n’ai croisé personne, au moment où la franchissent des bateaux de pêche.
Le soleil point quand je passe le Pont Tournant. Au marché est installé un crêpier à qui j’en achète deux pour deux euros. Je découvre qu’il m’en a mis trois quand je les mange avec un allongé aux Mouettes. Alors que le ciel redevient noir et que souffle un vent frisquet, j’ouvre Toulet. Comme tous les petits bourgeois de tous les pays, ils ont chacun une grosse femme et une grande fille.
Pour déjeuner, j’opte encore une fois pour le Quai Gourmand et je l’atteins rapidement grâce à la passerelle déployée. Pas question d’y entrer avant midi, le personnel fume devant, un œil sur son smartphone. « Ah putain, dès qu’on sort, le temps, il passe trop vite. »
Pour plat, je choisis le travers de porc breton caramélisé aux pommes avec frites, puis en dessert, une tarte au citron meringuée. Une arrivante s’adresse à l’homme de l’accueil : « Y a le monsieur avec son cheval qui demande s’il peut manger à une table dehors. » Effectivement, devant l’entrée du restaurant se trouve un sexagénaire accompagné d’un cheval qui porte son bivouac. C’est oui. L’animal est attaché à un poteau de signalisation pendant que son propriétaire déjeune.
Comme il fait un peu frais, je m’installe à l’intérieur des Mouettes pour le café, une salle sympathique qui rappelle l’intérieur d’un navire. Elle est un peu bruyante au comptoir. Dans un coin, un couple, chacun sur son smartphone. Elle devant un tuto (comme ils disent) sur la pose d’un thermostat. Un expresso et retour à Paul-Jean Toulet. La ville de Saïgon se glorifie de trois ou quatre tigres et de quelques employés des Postes. Contre les uns comme aussi contre les autres une administration prudente a protégé le public par un appareil de grilles …
Je rentre avec le bus D en validant correctement ma carte dix voyages. Il n’y a pas de contrôleurs dans les Transports urbains briochins, me disais-je. Jusqu’à ce que ce matin dans le bus E en montent trois pour contrôler les cinq voyageurs. J’ai tendu ma carte de dix voyages à l’un d’eux qui a regardé si je l’avais passé dans le valideur. Il me l’a rendue et j’ai soupiré intérieurement de soulagement car j’étais en fraude. Sur cette carte, outre mes voyages validés dans les bus, il y avait ceux effectués dans les cars BreizhGo où, faute de valideur, le chauffeur inscrit la date au stylo. Avec cette carte, j’en étais déjà à treize voyages. Il n’y a de la chance que pour les crapules, comme disait je ne sais qui.
C’est une façon de me dédommager de n’avoir pu obtenir une carte mensuelle à mon arrivée à Saint-Brieuc.
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Message reçu à mon retour :
« Vigilance – Risque d’éboulement sur le GR34
Suite aux pluies exceptionnelles des 21 et 22 septembre 2025, le trait de côte est fragilisé.
Les sols peuvent être instables : nous vous recommandons la plus grande prudence si vous empruntez le GR34.
Merci d’adopter un comportement responsable pour votre sécurité et celle des autres. »

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