Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 août 2024


Par ce samedi matin ensoleillé mais point trop chaud, je monte dans un bus Teor, en descends à Théâtre des Arts, prends le métro jusqu’au terminus Georges Braque, vois arriver un bus Vingt-Sept et y grimpe.
Ce bus de périphérie n’annonce pas ses arrêts. Je demande au chauffeur de me faire descendre à Porte des Tourelles (commune de Petit-Couronne). Ce n’est pas tout près.
Une fois sur place, impossible de savoir où se trouve ce qui était la « maison des champs » de Pierre Corneille. Personne dehors, bien qu’il soit plus de dix heures. La Médiathèque est fermée. La Mairie est fermée. Pas de commerces dans le coin. Un homme arrive, qui n’est pas d’ici, me dit-il. Néanmoins, il cherche sur son smartphone. Il trouve que c’est à deux cents mètres, près du jardin aquatique. Je m’en rapproche et ne vois rien.
J’entre dans ce jardin désert, finis par apercevoir une jeune mère à qui je demande. Elle vient d’arriver dans cette ville, me dit-elle. Elle me montre une autre femme plus loin avec son chien, laquelle me dit de ressortir et d’aller à droite. Une abrutie qui me met sur le mauvais chemin, m’apprend une charmante vieille interrogée au bout de plusieurs centaines de mètres. C’est en revenant sur mes pas, après le jardin.
Enfin je suis devant le beau manoir où je ne suis jamais venu. J’en fais une première photo. Sur la porte en bois, un petit écriteau « Entrée ». Je tourne la poignée et me voici chez l’écrivain, où il fait sombre évidemment.
La guichetière me donne un ticket gratuit.  Je lui dis que ce serait une bonne initiative de la part de la Mairie de Petit-Couronne de poser des pancartes indiquant la bâtisse. C’est à la Métropole, me répond-elle.
Je ne suis pas étonné de me trouver seul dans cette maison qu’acheta le père de Pierre Corneille, « une masure ainsi bastie d'une maison manante, grange, estables et fournil » et que revendit le fils aîné de celui-ci. Elle était entourée de vingt-quatre hectares de prairies, labours et bois-taillis. Il en reste peu.
Craignant sans doute que je fasse des bêtises, la gardienne me suit pas à pas dans les deux petites pièces de l’étage. Le mobilier est plus ou moins d’époque mais pas d’origine. Des portraits de Corneille par des inconnus sont accrochés aux murs. On ne visite que la moitié de ce manoir.
Redescendu, j’en fais le tour. « Toilettes » est-il écrit sur la porte d’un petit bâtiment. C’est fermé. Qu’à cela ne tienne, je fais pipi dans ce qui reste du jardin de Pierre Corneille. Lequel a dû faire de même souventes fois.
Au fond de ce bout de jardin est un four à pain. Une dernière photo du manoir vu par l’arrière et je retourne à l’arrêt de bus. Un Effe Six arrive peu après, plus rapide que le Vingt-Sept pour me ramener à Georges Braque où un métro part dans cinq minutes. Je suis chez moi pour le début du concert hebdomadaire de carillon.
                                                                        *
Je n’ai pas ouvert un livre de Pierre Corneille depuis la fin de ma scolarité. Jamais aimé ça, l’honneur, le devoir, le sacrifice.
 

9 août 2024


Je déjeune au restaurant Chez Kelly, rue de la Harpe. Une maison chinoise qui avait autrefois un nom fleurant le terroir français. Je la fréquentais avant que les librairies Book-Off me détournent du Quartier Latin. Il faut qu’il y en ait deux sur trois fermées pour que j’y revienne. Rien ne semble avoir changé à l’intérieur mais plus de salle au sous-sol.
Je commande le menu à bas prix, beignets de calamar, cuisse de poulet rôtie, mousse au chocolat. L’autre client, un habitué, mange avec sa serviette en papier rose glissée dans sa chemise. La patronne se plaint du peu de monde. Elle ne sait pas si elle aura droit à un dédommagement. Ici, c’est la zone rouge. Un employé tente de harponner qui passe dans la rue, sans succès. A l’issue, je paye douze euros quatre-vingts. Ça ne vaut pas plus.
Un peu de lecture dans le Jardin de Cluny où les touristes qui ne mangent pas dans les restaurants déjeunent sur des bancs en se battant contre les pigeons, puis d’un coup de bus Vingt-Sept, je rejoins le Bistrot d’Edmond vers quatorze heures.
Trois clients seulement déjeunent dans la salle, dont l’un qui se plaint des escargots qu’on lui a servis. Cinq ou six serveurs sont là et pourtant je dois attendre un moment mon café comptoir. Tous sont démotivés.
Pas plus de monde que d’habitude au Book-Off de Quatre Septembre, le seul à ne pas être en « congé d’été ». Je ne trouve à un euro que Lettres d’amour et d’affaires au Margrave Charles de Br. de Catherine, Comtesse de Salmour, Marquise de Balbian (Buchet Chastel). Monté à l’étage où sont les livres d’art à deux euros, je mets la main sur une curiosité, Le destin tragique d’Odette Léger et de son mari Robert de François Bouton (Le Bec en l’Air). Ce titre et les photos m’en donnent envie.
Comme la semaine dernière, et pour la même raison, mon train est une heure plus tard qu’à l’accoutumée. N’ayant pas envie de retrouver l’ambiance morose du Bistrot d’Edmond, je marche jusqu’au Royal Bourse Opéra, où il m’arrivait de déjeuner autrefois. J’ai le choix de la table, je suis le seul client. Une jeune blonde au corps de liane me sert un café verre d’eau à seulement deux euros.
Je termine là Un dimanche à la montagne dont la première phrase est Par un beau dimanche de guerre froide, j’ai mis le feu au grand chalet d’Axel César Springer en haut d’une montagne suisse. Cet incendie, l'auteur ne l’a pas commis seul. Sa copine de l’époque l’accompagnait, plus déterminée que lui. Elle est morte quand, trente ans plus tard, il publie cette histoire. Au moment de l’action, elle et lui croyaient que Springer était un ancien nazi. Plus tard, il a su que ce n’était pas le cas, raison pour laquelle il a présenté des excuses à la veuve. Vers la fin de son livre, Daniel de Roulet écrit ceci : Très peu de temps après notre fameux dimanche à la montagne, nous deux, mon amie et moi, avons cessé de nous voir. Etonnant : une brouille d’abord, ensuite on laisse traîner, on ne s’explique pas, et, à la fin, on se perd de vue.
« Pour le hockey, c’est voie Treize. » Ainsi suis-je accueilli ce mercredi après-midi en haut des escaliers mécaniques de la Gare Saint-Lazare. Un peu plus loin, trois gendarmes essaient de se dépatouiller d’un dingo anglophone qui se met à genoux devant eux et leur tend les bras en les suppliant de lui passer les menottes.
Dans le train du retour, je lis et regarde Le destin tragique d’Odette Léger et de son mari Robert de François Bouton, une sorte de roman photo documentaire narrant cinquante ans de la vie d’un coiffeur de Montceau-les-Mines et de sa femme, photographiés, souvent à leur insu, par le voisin d’en face. C’est triste et drôle.
 

8 août 2024


Le sept heures vingt-trois a heurté un animal avant d’arriver à Rouen ce mercredi. il faut prendre le sept heures trente-sept, un vieil omnibus à sièges colorés qui arrive de Paris et repart dans l’autre sens.
Peu de monde, finalement, dans ce train. Même après Vernon, je reste sans voisinage. Je lis tranquillement Un dimanche à la montagne de Daniel de Roulet. Partis sous un ciel bleu, nous nous traînons sous les nuages à partir de Mantes-la-Jolie où on ne s’arrête pas et n’arrivons qu’à neuf heures vingt.
Un bus Vingt-Sept est là qui part dans deux minutes. J’en suis l’unique passager jusqu’à Pyramides et le redeviens à partir de Louvre. De cet arrêt, je vois le ballon ascensionnel des Jeux Olympiques, posé et éteint. Je descends à Saint-Michel et suis devant Gibert cinq minutes avant l’ouverture.
Celle-ci faite, j’explore les livres de trottoir à bas prix et en prélève deux à un euro, Léger, Céline, deux Français à New York d’Isabelle Monod-Fontaine (Les Editions de l’Epure) et Vague inquiétude d’Alexandre Bergamini (Editions Picquier), puis direction le premier étage où s’épanouit la littérature.
Je suis bien aise d’y trouver deux rayons voisins, « Journaux » et « Correspondances » qui n’existaient avant que chez feu Gibert Jeune. Dans le premier sont les deux volumes du Journal de Jean-Luc Lagarce (Les Solitaires Intempestifs), en occasion pas donnée, quinze euros soixante l’un. Considérant la rareté de cet ouvrage et le risque pour moi de ne pas l’avoir lu avant que l’état de mes yeux m’en empêche, je les prends.
Un peu plus bas sur le boulevard, je passe chez Boulinier où certains prix sont insensés. Quand même j’y achète Un amour acéphale, la volumineuse correspondance de Patrick et Isabelle Waldberg (Editions de la Différence) dont la jaquette est un peu abîmée et qui ne vaut que deux euros cinquante. Un livre que je crains de ne jamais avoir le temps de lire.
Rue des Ecoles, la librairie de soldes face au Collège de France a disparu. Peu à peu, Au Vieux Campeur s’empare des boutiques de ce carrefour. La Librairie de Cluny, bonne bouquinerie que je fréquentais, s’affiche en vacances jusqu’en septembre. Je vais prendre le soleil dans le jardin du même nom en attendant midi.
 

6 août 2024


Faute de pouvoir passer la journée à Dieppe, je me rends ce dimanche vers treize heures au Musée des Beaux-Arts de Rouen pour y voir l’exposition Whistler, l’effet papillon.
La personne qui attend les visiteurs à la porte me dirige vers le guichet car c’est la seule exposition payante. Je demande à la guichetière s’il y a un tarif pour les vieux. Elle me répond que non, mais est-ce que j’ai une carte de bus ? J’ai ça dans mon portefeuille, une payante de dix voyages et une pour les voyages gratuits du samedi. Ces petits morceaux de carton me permettent de bénéficier du tarif réduit à sept euros.
L’exposition consacrée à James Abbott McNeill Whistler, chez qui se mêlent dandysme, japonisme, anglomanie et fascination pour le siècle d’or espagnol ainsi que pour Venise, et à ses disciples, les adeptes du whistlerisme, est en deux parties situées de chaque côté de la grande verrière.
Une jeune gardienne pose son livre pour contrôler mon billet puis j’entre dans la partie droite où sont accrochées plusieurs femmes en blanc. Je m’attarde devant l’un des tableaux de Whistler, Symphonie en blanc ou La Petite Fille Blanche, devant celui de Sir John Lavery, Sa première communion, et surtout devant celui d’Andrée Karpelès, l’érotique Symphonie en blanc au sein dévoilé et à la main crispée.
Dans la première des salles de gauche je suis accueilli par le Portrait de James McNeill Whistler de Giovanni Boldini, un Whistler désinvolte et dandy dont la fine canne en bambou est exposée à proximité. C’est de lui que se sont inspirés Marcel Proust pour son personnage du peintre Elstir et Joris-Karl Huysmans pour celui de Jean des Esseintes.
Dans la salle suivante me fait face le plus connu des tableaux de Whistler Arrangement en gris et noir n° 1 ou La Mère de l’artiste. Un rapprochement est fait par Sylvain Amic, dont ce fut la dernière exposition rouennaise avant sa nomination à la tête des Musées d’Orsay et de l’Orangerie, « entre la robe noire de la vieille femme qui se détache comme une forme abstraite sur un fond où s’imbriquent plusieurs rectangles et carrés de couleur unie, dont un monochrome gris figuré par le mur situé derrière elle », et les toiles de Kasimir Malevitch, Piet Mondrian et Mark Rothko. Light Red Over Black de ce dernier clôt cette exposition fort intéressante et peu fréquentée.
La moitié des présents, discrets et silencieux, sont anglo-saxons. L’une, venue avec sa mère, aurait pu servir de modèle à Whistler. Cette blondine aristocratique et anémiée, aux cheveux soyeux d’un or effacé de vieux vermeil serait de Vélasquez si elle n’était de Whistler. écrivait Arsène Alexandre
Comme souvent, les citations littéraires peintes sur les murs du Musée me donnent plus à penser que les œuvres montrées.
Votre Dieppe est une petite Florence, tous les types de personnages dignes d’un roman semblent s’y rassembler. (Henry James à Jacques-Émile Blanche)
Si l’on enlève quoi que ce soit au tableau, il ne reste rien. (George Moore)
                                                                      *
Repérée pendant ma lecture de la Correspondance de Gustave Courbet, cette lettre à James Whistler, écrite à La Tour-de-Peilz, Canton de Vaud, le quatorze février mil huit cent soixante-dix-sept :
Mon cher Whistler,
Il y a bien longtemps que nous nous sommes vus, c’est dommage, car les idées s’échangent. Où est le temps, mon ami, où nous étions heureux et sans autres soucis que ceux de l’art ? Rappelez-vous Trouville et Jo qui faisait le clown pour nous égayer. Le soir, elle chantait si bien les chants irlandais, car elle avait l’esprit et la distinction de l’art. Je me rappelle aussi notre déménagement à la ficelle du casino à l’hôtel, de la mer où nous prenions des bains sur la plage gelée, et des saladiers de crevettes au beurre frais sans compter la côtelette au déjeuner, ce qui nous permettait ensuite de peindre l’espace, la mer, et les poissons jusqu’à l’horizon. Nous nous sommes payés du rêve et de l’espace.
J’ai encore le portrait de Jo que je ne vendrai jamais, il fait l’admiration de tout le monde. Le tableau des demoiselles Potter a été acheté par Durand-Ruel et a dû aller à Londres ; c’est bien étonnant que M. Potter ne l’aie pas acheté. Il est étrange, recherchez-le, il ne m’a pas été payé. Durand-Ruel a suspendu ses paiements, surtout vis-à-vis de moi. Il a fait comme tout le monde, tout m’a été volé, et mon existence a été détruite.
Courbet se lia d’amitié avec Whistler à Trouville en mil huit cent soixante-cinq. Il rencontra alors la maîtresse du peintre, Joanna Hifferman, qui avait posé deux ans plus tôt pour La fille blanche ou Symphonie en blanc n°1.
 

5 août 2024


Un vide grenier sur la pelouse du front de mer me donne envie d’aller à Dieppe. Las, quand je consulte les horaires de train Nomad, je découvre que le dimanche matin, pour aller de Rouen à Dieppe, il n’y a plus de départ avant dix heures quarante-six, bien trop tard pour moi, de quoi maudire une fois de plus, le Duc de Normandie, Hervé Morin.
                                                               *
« On a les Jeux à la maison », bizarre cette expression entendue dans des bouches de politicien(ne)s et de journalistes. Personnellement, je ne prends pas la France pour ma maison.
Autre leitmotiv : « Ce n’est qu’une fois tous les cent ans ». Ça, c’était pour qui se plaignait de l’événement. Je parle à l’imparfait car il semble que presque plus personne n’y soit opposé. Le désir mimétique a fait son œuvre. De plus en plus sont envoûtés.
                                                               *
Deux adolescentes au Flo’s. L’une raconte à l’autre que son frère l’a nommée décoratrice pour son anniversaire. Il va avoir dix-huit ans et veut un camaïeu de bleu. Elle a prévu une arche de ballons instagrammable. Il y aura tous ses copains et la famille mais les parents et les autres adultes partiront vers minuit et nous on continuera à faire la fête. On boira que des softs, mais quand ils ne seront plus là, on sortira les alcools qu’on a planqués. Elle aimerait bien que sa copine soit là pour la fête. « Mes parents, ils t’aiment bien car ils savent que tes parents, ils sont stricts avec toi. » « Les copains de mon frère, c’est des gendres idéals. » Ce n’est pas du goût de la copine : « Je n’y peux rien moi si j’aime les bad boys. »
                                                               *
Lecture de jardin : Des souvenirs de Joseph Conrad, livre dans lequel l’écrivain évoque la période de sa vie où il écrit son premier roman La Folie Almeyer :
… une aimable fantaisie me pousse à penser que l’ombre du vieux Flaubert, – qui s’imaginait être (entre autres choses) un descendant des Vikings, – planait avec un intérêt amusé au-dessus du pont d’un steamer de deux mille tonnes, du nom d’Adowa, saisi par l’hiver inclément, le long d’un quai de Rouen, et à bord duquel je commençai le dixième chapitre de La Folie Almeyer.
Note infrapaginale : « L’Adowa arriva à Rouen le 4 décembre 1893 et en reparti le 10 janvier 1894 pour Londres, où il arriva le 12 janvier. Le 17 janvier, Joseph Conrad quittait l’Adowa. C’est ce jour-là que prit fin, sans qu’il en eût vraiment pris le parti, sa vie de marin. »
 

2 août 2024


En métro, je rejoins le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin où au rayon Littérature est proposé à huit euros La vie vagabonde, les épais carnets de route de Lawrence Ferlinghetti (Seuil). Je ne le laisse pas passer. Je complète avec des livres à un euro : Une jeune fille libre (Journal 1939-1944) de Denise Domenach-Lallich (Les Arènes), le numéro d’Europe consacré à Franck Venaille, Mémoires du Duc de Lauzun (Nouveau Monde) et Mémoires de Charlotte Robespierre (Nouveau Monde). Il fait une chaleur pénible dans ce lieu qui ignore la clim, aussi je remonte sans explorer les rayonnages consacrés aux romans où se cachent toujours des livres qui n’en sont pas.
La clim est bien présente au troisième Book-Off. Au coin d’une allée, je me trouve nez à nez avec le vieux bouquiniste. Il n’est donc pas mort. Il marche avec une béquille et me dit qu’il a fait un nouvel avécé qui l’a laissé paralysé de longs mois. Notre dernière rencontre date du début du Covid. Il me montre une photo de sa fille qui a grandi. Sortant un livre de Sollers d’une étagère, il me dit qu’il l’aimait bien. Je préfère me taire sur le sujet. Un peu en boucle, il me raconte des histoires de livres achetés une broutille et revendus une fortune. Je ne sais pas lesquels il a mis dans son chariot. Dans mon panier, j’ai plus de livres à un euro que souvent ici : Chaplin et les femmes de Nadia Meflah (Philippe Rey), Journal d’un génie de Salvador Dali (L’Imaginaire Gallimard), Vendanges de Charles Ferdinand Ramuz (La Guêpine), Valentino suivi d’Au Sagittaire de Natalia Ginzburg (Denoël), Lilus Kikus d’Elena Poniatowska, illustré par Leonora Carrington (Les Perséides), Lettres à mes amants d’Isabella Andréini (Editions Alternatives) et le Daniel de Roulet que je convoitais, Un dimanche à la montagne (Phébus Libretto).
Par prudence, ignorant quel serait l’état des transports pendant les Olympiades, j’ai pris un billet de retour pour le dix-sept heures quarante au lieu de l’habituel seize heures quarante. Ce n’était pas utile. Je passe ce temps de trop au Bistrot d’Edmond. J’y bois un café assis à deux euros cinquante sous des pales rotatives qui donnent un petit peu d’air puis y lis Le noble art de la brouille de Matthias Debureaux. Pas d’autres clients à l’intérieur, quelques-uns à la nouvelle terrasse aux tables trop serrées pour moi. Espérant trouver une clientèle parmi les passants, les serveurs sortent une télé d’un mètre sur trois, l’installe sur le trottoir face à la terrasse et la branche sur les Jeux.
                                                                       *
« Je le disais tout à l’heure, le parcours est semé d’embûches » (un commentateur d'écran géant de l’Hôtel-de-Ville).
                                                                       *
Jamais vu aussi peu de monde dans les rames du métro parisien. Quelle que soit la ligne, personne ne voyage debout.
                                                                       *
Cité dans Le noble art de la brouille, ce courrier de Jean Paulhan à Louis-Ferdinand Céline : Je m’aperçois que vos lettres en tout cas ont cessé de m’amuser. Veuillez adresser les prochaines, par exemple, à Marcel Arland. Pour moi, je vous salue bien.
 

1er août 2024


Un orage en début de nuit, d’autres prévus dans la journée et toujours la chaleur, ce premier mercredi olympique à Paris sera fatigant mais je n’y renonce pas. En Gare de Rouen, le sept heures vingt-trois est à l’heure, contrairement à d’autres trains. Ma voisine aux jolies jambes petit-déjeune et je termine la lecture de Confidences d’une jeune fille de Pauline de Pange.
On va au ralenti puis on s’arrête à Gaillon Aubevoye par la faute d’un arbre vers Rosny-sur-Seine « engageant la sécurité de nos installations électriques », nous dit le chef de bord. Les vérifications terminées, nous repartons avec quarante minutes de retard. Mes deux voisins d’outre couloir sont blêmes, ils vont louper le début du triathlon.
Un nouvel arrêt en Gare de Sartrouville augmente leur nervosité. « Régulation du trafic », nous dit le chef de bord qui annonce maintenant une heure de retard.
Ce retard ne me gêne pas car j’avais décidé, vu la chaleur, de ne pas passer chez Re-Read où la semaine dernière deux ventilateurs tournaient sans grande efficacité alors que la température était encore supportable à l’extérieur.
Les métros Quatorze et Huit me mènent au Marché d’Aligre où je ne trouve rien pour moi parmi les livres d’Emile et Amin.
Au Camélia, où je bois un café comptoir en constatant que Le Parisien est devenu un ersatz de L’Equipe, on a cru bon d’installer un écran pour les Jeux. Heureusement arrive un groupe de sept venu là pour travailler. Le fils de la maison coupe le son.
Chez Book-Off, on écoute Kate Bush et il y a la climatisation. Je trouve à un euro Correspondance avec Richard Heyd d’André Gide (Gallimard), Trop épris de solitude de Jacques Josse (le Réalgar), Je, d’un accident ou d’amour de Loïc Demey (Cheyne Editeur), La fin du voyage d’Ingrid Thobois (Labor & Fides) et l’élégant coffret incluant une cassette audio encore sous blisteur Maurice Ravel Qui êtes-vous ? de Marcel Marnat (La Manufacture) que je destine à l’un de ma connaissance avec qui je dois boire un café vendredi.
Au Rallye, je commande le filet de hareng pommes à l’huile et le stèque haché à cheval avec pommes sautées. Ici, pas d’écran olympique, mais, à ma gauche, une vieille avec un énorme cul qui me frôle à chaque fois qu’elle se lève pour aller acheter des tickets à gratter. « Je vous embête », me dit-elle la troisième fois qu’elle se rassoit. « Oui, je vois que vous avez vraiment envie de perdre votre argent. » « J’ai fini », me répond-elle. La patronne se débarrasse d’une guêpe avec une raquette qui envoie des décharges électriques. C’est chinois, à n’en pas douter.
                                                                        *
Un client du Camélia : « Franchement, je le fais. Nager dans la Seine. Je suis un mec du Pas-de-Calais. Là-bas, la mer, elle est aussi dégueulasse. »
                                                                         *
Pauline de Pange, dans Confidences d’une jeune fille, à propos de la sulfureuse Vita Sackville-West dont elle fut l’amie : Tout ce que je puis dire est que Vita et moi avons su maintenir notre inaltérable amitié d’un demi-siècle dans les régions très pures de la haute collaboration littéraire.
 

30 juillet 2024


Lecture rapide du Journal de Trêve de Frédéric Berthet aux terrasses rouennaises, livre que le hasard des « un euro » de Book-Off m’a mis entre les mains. Frédéric Berthet, auteur inconnu de moi, était un ami de Barthes, Sollers et Echenoz. Son Journal de Trêve est le journal de l’écriture d’un roman nommé Trêve non mené à bien. Il ne m’a pas intéressé au point de le lire attentivement, mais j’en ai tiré quelques pépites :
Des femmes m’ont plu, et je les ai aimées : les torts sont réciproques.
Ecrire : se sortir de l’eau soi-même en se tirant par les cheveux…
Et quand on me disait que j’étais présentable, je demandais plein d’espoir « A qui ? », mais on ne savait que me répondre.
Quelqu’un a décidé pour moi que je devais me décider tout seul.
Je n’ai jamais vu personne mourir, mais j’ai souvent accompagné des gens à la gare, et ils ont tous la même façon de s’en aller.
Un écrivain, c’est quelqu’un qui fait de la littérature une affaire personnelle.
Les petites annonces que je pouvais passer : échangerais intérieur contre extérieur.
« Ça jappe », disait-elle pour parler des contractions de son vagin au moment de l’orgasme.
La magie des restaurants. Vous dites le mot, et on vous apporte la chose.
Enculer pour mieux sauter.
Le « C’est pour ton bien » invérifiable de l’indifférence universelle.
-Comment trouves-tu mes fesses ?
-Facilement.
Ce qui rompt l’état d’innocence, ce n’est pas la sexualité, mais le langage.
Quant à croire, Dieu est le moindre mal.
Certains embouteillages étaient magnifiques, les matins de départ en vacances : on avait le temps de savoir qu’on partait.
Pouvoir être un « habitué » tout de suite.
Si j’aimais aller à l’école, oui – mais à cause du trajet à travers le quartier.
J’ai l’âge des femmes que j’aime et avec qui je fais l’amour.
-J’ai l’intention, dit-elle, de ressembler à un crime parfait. Tu comprendras que cela m’interdit d’avoir des complices.
Ce siècle commence à nous taper sur les nerfs.
                                                                  *
Frédéric Berthet est mort à quarante-neuf ans, le vingt-cinq décembre deux mille trois, à son domicile parisien, d’un suicide.
 

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