Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Une dose de Léautaud (deux)

28 mars 2023


Deuxième série d’extraits du premier volume du Journal littéraire de Paul Léautaud, tirée de mes notes prises lors de ma lecture à Toulon:
Lundi quatorze septembre mil neuf cent huit (retour de voyage à Rouen avec Gourmont et Dumur)
Aussi remarqué que les femmes ont en général les lèvres assez charnues. Il paraît qu’à Rouen on mange beaucoup, signe d’une certaine sensualité.
Vendredi huit octobre mil neuf cent huit
Pierre Louÿs est passé au Mercure. Il a extrêmement changé, grossi, empâté, bedonnant déjà, le vrai bedon large de partout. Plus rien du beau jeune homme que nous avons connu. On lui donnerait quarante ans.
Lundi douze octobre mil neuf cent huit
Au bout de cette heure passée à réfléchir et à me dire que je vaux mieux que tous ces gens, pas abâtardi comme eux, ne coupant pas comme eux dans tous les lieux communs moraux et littéraires, idées sociales, bêtise de style, tous ces ronronnements et ces moutonneries, je me suis mis à dîner. Maintenant cela va mieux.
Mercredi sept décembre mil neuf cent dix
Saint-Pol-Roux fait circuler des imprimés demandant pur lui la Légion d’honneur. Prière de signer. Morisse m’en a présenté un ce matin. J’ai éclaté de rire.
Lundi seize septembre mil neuf cent douze
C’était la fin d’octobre, le commencement de l’hiver, le soir, dans une sorte de brume. Elle se prêtait très bien à tout. Finalement, je la fis se lever. Elle se pencha en avant sur des charpentes entassées, s’appuya là des deux mains, et moi derrière elle, l’ayant retroussée, je l’enfilai très agréablement.
Mercredi trente octobre mil neuf cent douze
Je réfrige à beaucoup de choses.
Vendredi vingt-huit mars mil neuf cent treize
Que de jolies femmes j’ai vues passer, pendant ma pose rue Rochechouart à attendre Billy ! Cela me ferait tout de même plaisir, de connaître une jolie femme. Seulement, voilà ! Je ne suis pas beau, à leurs sens.
Lundi onze août mil neuf cent treize
Je pense, depuis quelques jours, que Rousseau et après lui Chateaubriand ont fait beaucoup de mal à la littérature. C’est d’eux que nous viennent tous nos phraseurs. Ils ont ôté le naturel dans le style comme dans les sentiments. (…)
Je veux dire exactement : la tragédie, la tragédie de Corneille et de Racine, surtout, a abîmé notre théâtre en y introduisant la déclamation. Eh ! bien, Rousseau et Chateaubriand ont abîmé notre littérature en y introduisant la déclamation. Un écrivain qui déclame, rien n’est plus méprisable.
Vendredi trente et un décembre mil neuf cent vingt
J’ai bien fini l’année. Je suis allé ce soir à la chocolaterie Debauve et Gallais, rue des Saints-Pères, acheter du chocolat pour moi et quelques gourmandises pour les enfants de mon voisin Poinçon, chez qui vit, à son gré, mon chat Cendré. Dépense de 10 frs 80. Il y avait queue à la caisse. Ces choses sont chères. Ces gens gagnent un argent fou. Ma foi ! je suis parti sans payer.
Samedi vingt-neuf juillet mil neuf cent vingt-deux
Le physique compte pour un homme et on ne peut pas être un poète de talent avec le physique d’Ernest Prévost qui a le visage d’un comptable d’hospice de vieillards.
Dimanche treize mai mil neuf cent vingt-trois
Il dit qu’elle est très processive, elle en a donné des exemples, et qu’elle n’aurait pas raté le procès s’il y avait eu matière.
Mercredi seize avril mil neuf cent vingt-quatre
Je me rappelle ce soir, dans ma chambre, rue Monsieur-le-Prince, qu’ayant envie de faire l’amour, et moi ne pensant qu’à dormir, elle se mit à la tête du lit, à cheval sur ma figure, et me mouilla ainsi tout le visage en me promenant dessus son con qu’elle avait tout mouillé de désir. Elle n’en obtint pas davantage. Comme je l’apprécierais aujourd’hui et elle aurait un autre amant, à mes cinquante-trois ans, que celui qu’elle avait quand j’en avais dix-neuf.
                                                                 *
Une attention particulière pour les mots « processif » (qui aime à intenter, à prolonger des procès) et « réfriger » (on en devine le sens mais on ne trouve aucune autre occurrence quand on fait une recherche sur Internet).