A Montparnasse avec John Glassco

21 mars 2024


Mémoires de Montparnasse, le récit autobiographique de John Glassco publié chez Viviane Hamy, m’a fait de l’œil pendant de longues semaines quand il était à huit euros chez Book-Off. Le jour où il est passé à un euro, je ne l’ai pas loupé et en ai fait une de mes lectures de lit.
John Glassco a dix-huit ans en mil neuf cent vingt-huit quand, s’ennuyant au Canada, il décide, avec un ami du même âge et peu d’argent, de traverser l’Atlantique. Passionnés l’un et l’autre de littérature, Montparnasse devient leur lieu de vie. Ils y mènent une vie dissolue, rencontrant ceux et celles qui comptent ou compteront.
C’est ce que racontent les Mémoires de Montparnasse, dont les premiers chapitres ont été écrits sur place et le reste quatre ans plus tard quand, rentré au bercail, John Glassco, sur un lit d’hôpital, attend une opération à laquelle il n’est pas sûr de survivre.
Montparnasse des années folles donc, avec deux échappées, une à Luxembourg, l’autre à Nice. C’est un livre passionnant. Je me contente d’en prélever quatre portraits.
J’ai rencontré là le grand poète surréaliste Robert Desnos : il paraissait à peine plus âgé que moi et portait un costume aussi mince qu’informe, une longue écharpe grise à frange enroulée plusieurs fois autour du cou. Il était beaucoup plus laid que sur ses portraits, et, à le voir transi de froid, il semblait qu’on l’eût jeté puis traîné dans un caniveau. Sa bouche large et pleine d’humour ressemblait à celle d’une grenouille, et, derrière des verres épais, ses grands yeux globuleux couleur d’huître pétillaient d’esprit et d’intelligence.
Kiki de Montparnasse. Son visage était magnifique de n’importe quel angle, mais je le préférais de plein profil, quand il offrait la pureté linéaire d’un saumon farci.
Hemingway s’assit à la table voisine. Il avait meilleur allure que sur ses photos, mais ses yeux étaient curieusement petits, matois et réticents, comme ceux d’un politicien ; il arborait une moustache visiblement destinée à contrebalancer la rotondité charnue de ses joues, mais le résultat n’était pas probant. Je l’ai trouvé presque aussi peu attirant que ses nouvelles – des modèles de sensiblerie guindée et de sentimentalité volcanique, dont les intrigues et dialogues absurdes m’ont toujours évoqué un Prométhée au foie jaune qui se serait ligoté avec de la grosse ficelle.
La formidable puissance de Gertrude Stein rayonnait au cœur de l’adulation qui l’environnait. Rhomboïdale, vêtue d’une robe coupée dans une espèce de jute qui descendait jusqu’au sol, elle semblait absolument irrécusable ; ses chevilles presque dissimulées par les plis hiératiques du vêtement, constituaient les piliers d’un temple ; il était impossible de l’imaginer en position couchée.