À Paris avant les Fêtes

18 décembre 2025


Obligé par les Fêtes de quitter Rouen avec le huit heures zéro quatre ce mercredi, un train des familles, de couples et d’isolés peu habitués aux voyages sur voie ferrée, certains perdus, comme cette femme à grosse valise montée dans la voiture Trois alors qu’elle devrait être dans la Seize, c’est-à-dire dans l’autre rame qu’elle ne peut rejoindre par l’intérieur. Je lis L’Art de choisir sa maîtresse et autres conseils indispensables de Benjamin Franklin tandis que, deux sièges devant, une mère donne une leçon de lecture à son moutard ânonnant, un livre vite lu, de peu de contenu, qui sera revendu.
La traversée de Paris en bus Vingt-Neuf, le tour du Marché d’Aligre pour que dalle, un café au comptoir du Camélia, j’entre à onze heures chez Book-Off, la rue du Faubourg-Saint-Antoine ayant ressorti ses vieilles guirlandes électriques de Joyeux Noël. Je mets dans mon panier cinq livres à un euro : Les Jeux olympiques de littérature de Louis Chevaillier (Grasset), La Bastoche, une histoire du Paris populaire et criminel de Claude Dubois (Tempus), Désirée de Frédéric Roux (Allia), Le dernier bateau d’Odessa d’Erzsébet Fuchs (Mercure de France) avec une dédicace de l’auteure « A Mathilde de la part de sa fille Michèle ainsi que de ma part » et Let go de Chloé Mons (Médiapop Editions) dans lequel elle évoque, dix ans après, la mort et les obsèques de son mari.
Dans le métro Un, mes voisines s’organisent. « Il nous restera le fromage à acheter. » « On ira lundi. » « C’est quand Noël ? » Il serait temps de le savoir. Point de mercredi à Paris pour moi durant deux semaines et même, pas de Paris du tout la semaine prochaine, impossible, à cause de ce Noël, de trouver un billet à sept euros soixante-dix, même en s’y prenant deux mois à l’avance. Au Diable des Lombards, c’est avocat gratiné au parmesan et pièce de bœuf sauce poivre frites.
Au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin je côtoie une étudiante intéressée par le Platon à un euro du rayon Philosophie. « J’en ai vu trois ce matin au Book-Off de Ledru-Rollin », lui dis-je. « Je ne savais pas qu’il y avait un autre Book-Off », me dit-elle. « Il y en a même trois. » Je ne rechigne jamais à instruire les jeunes filles. Je mets dans mon panier six livres à un euro : M. & M. de Michèle Hechter (L’un et l’autre/Gallimard), La Rose blanche (Six Allemands contre le nazisme) d’Inge Scholl (Minuit), Le Chant des livres de Gérard Guégan (Grasset), Bal à Espelette (Lettres trouvées) de Paul Gadenne (Actes Sud), Les quarante médaillons de l’Académie de Jules Barbey d’Aurevilly (Les Cahiers Rouges/Grasset) et le numéro six du Très Précis de conjugaisons ordinaires, consacré au sexe, de David Poullard et Guillaume Rannou (Le Monte-en-l’air) où l’on apprend à conjuguer les verbes cunnilingoire et clitorire (entre autres).
Sous la véranda de L’Importun, je lis Aquarelles d’Henri Miller. Ce livre, je le découvre, reprend une longue lettre à Emile Schnellock qui doit donc figurer dans sa correspondance avec celui-ci que j’ai lue il y a fort longtemps. Il est vite lu, de peu de contenu et sera revendu.
Dans la voiture Cinq du seize heures quarante du retour, je ne lis pas. Ma voisine de devant déplie Le Canard Enchaîné en mangeant des amandes grillées de chez Monoprix, bientôt elle délaisse son journal au profit de son smartphone puis de son ordinateur, bref, elle se remet au travail, pas longtemps toutefois, retour au Canard et aux amandes, et elle s’endort.