A Paris, avec vue sur la salle Labrouste et Eurydice nue

10 février 2017


La gare de Rouen est plus que jamais en travaux lorsque j’y arrive ce mercredi afin de prendre le sept heures cinquante-neuf pour Paris. Une affiche y promet « Des espaces de travail adaptés à chacun ». Travailler chez soi, travailler dans la gare, travailler dans le train, travailler au travail, travailler en mangeant, retravailler au travail et faire de même lors du retour, c’est le lot de beaucoup de ceux qui partagent mon voyage, moitié parce qu’ils sont obligés, moitié parce qu’ils aiment ça. Pour leur tranquillité (et la mienne), les agents de sécurité sont désormais autorisés à fouiller les bagages.
Après Mantes-la-Jolie, le soleil remplace le gris mais ça ne dure pas. Mon passage au Book-Off de Ledru-Rollin est peu fructueux. Au marché d’Aligre, certains vendeurs sont absents. Je comprends pourquoi en passant devant l’école de la rue Manuel-Valls. Une affichette signée « Les enseignants » souhaite « Bonnes vacances » aux parents qui vont se coltiner leur descendance pendant deux semaines. Place de la Bastille, le bus Ikea se remplit de voyageurs captifs. Je lui préfère le Vingt dans lequel une jeune femme lit Conversations avec Vladimir Poutine. La photo de couverture est un effrayant portrait de l’autocrate en jeune timoré.
Descendu à Opéra, je déjeune au Royal Bourse Opéra d’un chou farci à l’auvergnate accompagné de riz long. Avec un quart de côtes-du-rhône, cela fait seize euros. Mon intention est d’aller voir la salle Labrouste restaurée de la Bibliothèque Nationale (site Richelieu), ce dont j’ai été empêché précédemment pour cause d’inauguration. Cette fois, la salle est ouverte mais qui n’a pas de carte de chercheur ou d’étudiant habilité doit rester derrière un cordon à l’entrée. J’en fais néanmoins une série de photos, admirant les solides colonnes en fonte et les neuf coupoles décorées de panneaux en faïence beige, enviant les jeunes filles et garçons penchés sur un livre près d’une jolie lampe verte, puis je vais rechercher mon sac à dos au vestiaire. Celui-ci étant en libre-service, c’est un bon plan pour qui veut s’alléger avant de se balader dans le quartier, me dis-je un peu tard, lorsque la présence d’un vigile à l’entrée d’un bâtiment de la rue Vivienne me donne envie d’y entrer. « Vous ne pouvez aller que jusqu’à la rotonde », me dit-il après la fouille.
Où suis-je exactement? Dans la galerie Colbert, autrefois commerciale, aujourd’hui propriété de la Béhenneffe. Des panneaux indiquent « Institut National d’Histoire de l’Art » « Institut National du Patrimoine » « Ecole Pratique des Hautes Etudes ». Au centre de la rotonde, une statue montre une jeune femme nue. C’est Eurydice mourante ou Eurydice piquée par le serpent de Charles-François Leboeuf. Une copie, l’originale est au Louvre. Elle mérite quand même une photo. Une étudiante me voyant faire fait de même.
J’entre ensuite dans la galerie Vivienne. S’y cache un bouquiniste dont les boîtes de livres à prix réduit ne cachent pas de merveilles. La basilique Notre-Dame-des-Victoires m’appelle. « Qui que vous soyez, croyant ou non, prenez le temps de vous asseoir quelques minutes dans cette église », ce que je fais, sans craindre que la foi me tombe dessus, entouré des trente-sept mille ex-voto en marbre. Mozart, Colette, l’abbé Pierre et le champion cycliste Gino Bartali sont passés ici avant moi. Et pas qu’eux : « Le 4 novembre 1887 Sainte Thérèse de Lisieux vint s’agenouiller à l’autel de Notre Dame de la Victoire pour lui confier son avenir et la remercier de sa guérison obtenue le 13 mai 1883 au terme d’une neuvaine. »
Une autre plaque retient mon attention :
« J’ai prié la Sainte Vierge pour avoir un emploi, continuez moi, ô bonne mère, votre sainte protection dont j’ai tant besoin encore. »
Ce pourrait être signé Penelope Fillon.
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Sarah de RecycLivre m’écrit après avoir lu la page de mon Journal narrant, à la date du douze janvier dernier, l’un de mes mercredis parisiens. Elle ne me demande pas de droit de réponse mais je lui donne la parole.
Elle m’indique à qui, précisément, va l’argent versé pour lutter contre l’illettrisme :
« L'association bénéficiaire principale est Lire et Faire Lire, à qui nous avons reversé 25 000 € l'année dernière et qui communique souvent sur notre partenariat. Nous reversons aussi 1% de notre chiffre d'affaires à 1% pour la planète qui finance des projets qui ont pour but de protéger l'environnement. »
Elle dément mon Chez Price Minister, il bénéficie, comme tous les professionnels, de l’alignement automatique de ses prix de vente et est donc toujours le moins disant. :
« Nous ne disposons d'aucun alignement automatique, nous disposons seulement d'une équipe dédiée qui essaye d'attribuer un prix correct en fonction des prix affichés sur le marché des livres d'occasion, notre but principal restant de rendre accessible la lecture à un maximum de personnes, y compris les populations défavorisées. »
Le seul point de mon propos à ne pas être évoqué par mon aimable correspondante est Lorsqu’il est le seul à proposer un livre devenu rare, il en demande un prix exorbitant.
Ce jour, sur Price Minister, RecycLivre, seul vendeur d’Introduction à la théologie pratique de Bernard Kaempf (Presses Universitaires de Strasbourg), le propose à cinq cents euros (ce qui est un peu contradictoire avec l'objectif « de rendre accessible la lecture à un maximum de personnes, y compris les populations défavorisées. »).