A Paris, jouant à cache-drache

5 février 2016


Après l’averse, sous un ciel chargé, le chant du merlou m’accueille dans la ruelle ce mercredi matin, signe avant-coureur du printemps, un autre étant l’apparition des premières jonquilles du jardin. J’ai le temps d’arriver à la gare avant la drache suivante.
Le train s’approchant de Paris, le ciel se dégage jusqu’à devenir bleu. Je remise mon parapluie et prends le métro jusqu’au café du Faubourg. J’y bois un café à un euro dix au comptoir en parcourant Le Parisien puis entre chez Book-Off.
Le ciel est toujours bleu quand j’en ressors. Je rejoins la place de la Bastille à pied et trouve pas loin, rue Saint-Antoine, l’endroit où il me plaît de déjeuner : Le Rempart, « brasserie à l’esprit familial ». On y entend de la musique latino. Un jeune homme en est le gérant, un autre est en salle, la cuisine est faite par l’habituel immigré venu du Pakistan. La clientèle est variée, surtout du quartier. J’y mange près de deux filles qui travaillent dans le tourisme et ne parlent que de ça. Sauté de veau à la catalane et tiramisu aux spéculoos pour douze euros cinquante, avec un quart de morgon cela fera vingt et un euros.
-Ça a été ?, me demande le jeune gérant à l’esprit familial.
-Parfaitement, lui dis-je.
Quelques nuages sont en embuscade quand je ressors. Il ne faut pas longtemps avant qu’ils envoient la drache. Au sortir du bus Vingt, je me réfugie au Petit Choiseul, estaminet sis au bout du passage du même nom, et y prends un café à un euro au comptoir puis rejoins le deuxième Book-Off. On y solde encore mais les bonnes occasions sont parties. Je m’y attarde car la pluie redouble, mêlée de grêle, et y trouve Joseph Anton, une autobiographie de Salman Rushdie, livre paru chez Plon dans lequel l’écrivain anglais raconte la vie qu’il mène depuis qu’il a appris, un quatorze février, qu’une fatoua de Khomeiny le condamnait à mort (Joseph Anton étant son nom de clandestinité, composé des prénoms de Conrad et de Tchekhov) :
C’était le jour de la Saint-Valentin, mais il ne s’entendait pas très bien avec sa femme, la romancière américaine Marianne Wiggins. Six jours plus tôt elle lui avait déclaré qu’elle n’était pas heureuse et qu’« elle n’avait plus aucun plaisir à vivre avec lui », pourtant ils n’étaient mariés que depuis un peu plus d’un an mais lui aussi avait déjà pris conscience de l’erreur qu’ils avaient commise.
C’est le genre de livre dont je ne peux différer la lecture. Bien qu’il ait sept cent trente-quatre pages je pense l’avoir terminé avant le quatorze février.
                                                      *
Gare Saint-Lazare :
-Excusez-moi monsieur, une p’tite pièce pour manger.
-J’ai soixante-dix ans et je travaille.
Le non-dit a une certaine importance.
                                                      *
Gaillon Aubevoye : jeune femme qui entre dans le train en disant bonjour.
                                                      *
Au retour à Rouen, le pavé mouillé témoigne du temps qu’il a fait. Les graffitis présents depuis des mois sur la double porte du porche sont toujours là, à croire que les propriétaires n’ont jamais demandé à la Mairie de les effacer.