A Paris, un mercredi d’après dégradations (deux)

4 avril 2018


Mon rendez-vous avec le psychanalyste est à quinze heures trente dans le vingtième arrondissement. Je lui ai acheté les Cahiers de Cioran, publiés chez Gallimard, neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pages, trente-huit euros soixante, qu’il vendait « comme neuf » pour vingt et un euros cinquante, une dépense qui n’en est pas une car je l’ai réglée avec les Super Points Rakuten accumulés au fil de mes ventes de livres.
D’un coup de métro avec changement à République, j’arrive à Télégraphe, la station qui doit posséder le plus long escalier mécanique. Me voilà au sommet de la seconde colline de Paris (deux centimètres et demi de moins que Montmartre). Je reconnais le boulodrome où autrefois j’ai acheté des cédés de Philip Glass dans le vide grenier qui s’y tenait.
Etant en avance, j’entre dans l’espace vert le plus proche, sis entre ce boulodrome et le double château d’eau. Il s’agit du cimetière de Belleville, pas plus grand qu’une division du Père Lachaise. Clos de murs, il est ombragé par de grands arbres qui cachent plus ou moins les hauts immeubles qui l’entourent. J’y suis seul. J’en parcours les sentiers à la recherche d’une célébrité mais la seule artiste que je découvre m’est inconnue : Suzy Prim, qui a eu le rôle titre dans La Dame aux Camélias entre les deux guerres.
L’un des deux bancs est au soleil. Je m’y assois et me rends alors compte que je suis entré dans un cimetière pour le vingt-troisième anniversaire de la mort de mon frère Jacques, décédé dans la nuit du deux au trois mai à La Rochelle. Bien longtemps que je ne suis allé sur sa tombe (comme au dit), au cimetière de Louviers.
Vers quinze heures quinze, je quitte mon banc et par le joli passage Gambetta, dont la chaussée est constituée de gros pavés, me rapproche de mon rendez-vous. Ce quartier de Paris ressemble à un bourg de province avec sa caserne de pompiers, sa poste, son cimetière et sa récente église Notre-Dame-de-Lourdes qui passe presque inaperçue au rez-de-chaussée d’un immeuble.
A quinze heure trente précises, j’appuie sur l’interphone. « Entrez et deuxième interphone à gauche sous le porche ». J’y sonne. « Quatrième étage, en face de l’ascenseur ». L’homme m’attend porte ouverte. Il me remet le livre. « N’oubliez pas de me noter rapidement », m’enjoint-il. Je n’ai jamais eu envie de consulter un psychanalyste. Celui-ci me fait plutôt penser à un militaire de carrière ; mais s’il l’était, il n’aurait pas lu Cioran.
Mon retour à Rouen est difficultueux. Le train de dix-sept heures quarante-huit est mis à quai avec une heure de retard, puis après plusieurs faux départs il est détourné au ralenti par Conflans-Sainte-Honorine car un train de banlieue est tombé en panne à Maisons-Laffitte. Au lieu d’être à la maison à dix-neuf heures trente, j’y arrive à vingt et une heures.
                                                               *
nous avions vingt ans
et pleins d’allégresse
nous creusions le temps
à coup de pelles fraîches
Jacques Perdrial, extrait de Poèmes et chansons pour la madone de cuir (Editions Didier-Michel Bidard, mil neuf cent quatre-vingt)
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ce qui est vrai n’est pas forcément faux.