A la marche républicaine de Rouen (je suis Charlie, tu suis Charlie, il ou elle suit Charlie, nous suivons Charlie)

11 septembre 2015


Bien que je n’apprécie pas que cette marche soit qualifiée de républicaine, bien que je sache qu’il y aura là de nombreux et nombreuses qui jusqu’à mercredi dernier détestaient Charlie Hebdo ou le prenaient pour un journal sans intérêt, je prends le parapluie un peu avant quinze heures et me glisse dans le flot qui remonte la rue de la République en direction de la place de l’Hôtel de Ville. Ici, comme ailleurs en ville, depuis ce matin les panneaux Jicé Decaux sont Je suis Charlie. « Nous avons beaucoup de nouveaux amis, comme le pape, la reine Elizabeth ou Poutine: ça me fait bien rire » a déclaré Willem aux médias hollandais, ajoutant : « Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis ».
Nous stagnons longuement au pied de la statue verte de Napoléon sur son cheval. De la rue Louis-Ricard, on voit descendre un autre flot. Impossible de savoir combien on est sous la pluie, des milliers et des milliers c’est sûr. J’entends au loin une fâcheuse Marseillaise. A un moment, des applaudissements se font entendre. Sans doute sont-ce des élus qui arrivent, eux aussi nouveaux amis. Quand enfin ça bouge, la difficulté est de s’enfiler, les un(e)s après les autres, dans la rue du Canuet. Aucun slogan heureusement, quelques-un(e)s portent badges et affichettes Je suis Charlie ou des unes du journal. Un Cégété a cru bon d’arborer ses autocollants et de faire ainsi le paon. Je ne vois que ces indécrottables anarchistes de la tendance officielle pour distribuer un tract. Je le refuse.
Je suis Charlie, tu suis Charlie, il ou elle suit Charlie, nous suivons Charlie. « On est tout mouillé » dit un moutard près de moi. « On a le droit d’être mouillés aujourd’hui », lui dit sa mère. « C’est même un devoir », ajoute le père.
Après avoir descendu la rue de la Jeanne, où sur les affiches Je suis Charlie de la librairie L’Armitière des gentillets font de jolis dessins, nous prenons à gauche rue du Général-Leclerc puis à droite rue Grand-Pont. Nous voici sur le pont Boieldieu où le vent souffle si fort qu’il est prudent de replier le parapluie. De là j’ai enfin idée de l’importance de la manifestation car le pont Corneille par lequel se fait le retour est déjà noir de monde et quand j’y suis à mon tour cela continue d’arriver sur Boieldieu.
Je remonte à nouveau la rue de la République avec tous ces gens dont je suis sûr de ne pas revoir la plupart quand il s’agira de manifester pour les Roms ou les Sans Papiers. Beaucoup tapent dans les mains en cadence. Devant la Mairie un musicien joue son petit air de clarinette. Plus loin se fait entendre une fanfare. La boucle bouclée, je vais me sécher et apprends peu après que la Préfecture, qui n’a pas cette fois intérêt à minorer le chiffre, annonce trente-cinq mille manifestants.
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Et dimanche, je serai à Paris, quand même, et encore plus mal à l’aise, où je n’irai point entendre le prêche de l’archevêque et cardinal au nom de pape André Vingt-Trois, un exemple de ces contorsions coutumières aux chrétiens dès qu’il est question de liberté. Extrait : « Une caricature, même de mauvais goût, une critique même gravement injuste, ne peuvent être mises sur le même plan qu’un meurtre. La liberté de la presse est, quel qu’en soit le coût, le signe d’une société mûre. »
L’église catholique a porté plainte à moult reprises contre Charlie Hebdo.