Apprendre à dire non avec Henri Michaux

14 mars 2019


Quel auteur fut capable de refuser que l’on publie ses textes dans une revue ou une anthologie, qu’on en réédite d’autres, de faire partie d’un comité de rédaction, d’être pris en photo, de recevoir un prix littéraire, de faire une lecture publique, d’écrire un article de commande ou un scénario, de faire une conférence, que l’on publie ses lettres, d’être l’objet d’une exposition ou d’un numéro spécial ou d’un colloque, de passer à la radio ou à la télévision, que l’on mette son nom sur une plaque commémorative et même d’être publié dans La Pléiade de son vivant ?
Henri Michaux.
Jean-Luc Outers a eu la bonne idée de rassembler en un recueil publié en deux mille seize chez Gallimard les lettres de refus que l’écrivain et artiste a envoyé, entre mil neuf cent trente et un et mil neuf cent quatre-vingt-quatre, pour réponse aux sollicitations dont il fut l’objet, sous un titre on ne peut plus clair : Donc c’est non. C’est d’une lecture réjouissante.
En voici, extraite par mes soins, la substantifique moelle :
Vous allez m’excuser. JE N’AI AUCUNEMENT L’INTENTION D’ACCEPTER. Je ne m’y vois pas, non. Me suis-je assez montré ! Mais oui, envoyez-là au diable. Procédé un : pas de réponse. Procédé deux : je vous en pire, laissez-moi dormir. Dois-je vous dire que je m’oppose catégoriquement à ces exhibitions et que dans la mesure où je le sais, je l’interdis. N’en parlons plus. Je m’oppose de façon catégorique à la réédition. Dans la crise du papier, ce n’est pas moi qui mordrai dans le stock. Ne comptez pas sur moi. Comme vous me connaissez mal ! Non, décidément non. Veuillez donc supprimer mon nom. Je serai Intraitable, cela va sans dire. N’y songez plus. Ne les publiez pas. Il n’y aura pas d’exception. Il ne peut en être question. Veuillez prendre note que je l’interdis absolument. Interdiction d’en faire mention. Vous saviez bien pourtant que je ne parle jamais au micro. Je regrette de devoir répondre de façon décourageante. Est-il besoin de dire que je m’y oppose formellement. C’est encore une fois NON. Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non. Croyez bien que j’en ai autant de regret que j’ai eu de surprise à vous lire. Je décide de ne pas donner suite à ces propositions. Je suis catégoriquement opposé à ce qu’on republie. Je ne me montre pas à la Télévision. Je voudrais qu’on n’en fasse rien. On a peut-être espéré aussi que je changerais d’avis, ce n’est pas le cas. Vous comprenez que mon parti est pris, c’est non. Auriez-vous l’obligeance de répondre, de ma part, non à cette dame. Dans les constructions et échafaudages à mon sujet, je tiens à n’avoir aucune part. Je m’y oppose formellement. Qu’il n’en soit donc plus question. Cependant, j’ai peu envie. Ne comptez pas sur moi pourtant. Faites qu’il ne soit rien de plus. Attendez la fin de ma vie qui ne saurait tarder. Je vous prie de renoncer à votre projet. Je répugne – en ce qui me concerne – à l’étalage. Mais cela ne me va pas à moi d’être membre d’honneur ni lié à un groupe. Je suis au regret de devoir tout vous refuser. Non. Plus jamais. J’ai décidé de n’accorder même à un ami la moindre interview. A quoi bon des essais, monsieur ? Voici vos textes, gardés trop longtemps peut-être. Laissez tomber cette manifestation projetée, du moins en ce qui me concernait. Refus catégorique, et cette fois pour toutes. Je ne puis accepter ce prix qui ferait le bonheur de tout poète ! Sachez que j’aimerais que vous renonciez. Laissez-moi mourir d’abord. Et vous demande de bien vouloir renoncer à ce projet. Il faut y renoncer. Je ne peux pas vous aider.