Lecture au café d’Un amour acéphale, l’épaisse correspondance de Patrick et Isabelle Waldberg publiée aux Editions de la Différence que j’ai acheté chez Boulinier boulevard Saint-Michel. Patrick, écrivain de nationalité américaine engagé dans l’armée française puis dans l’armée américaine et envoyé à Londres près du Général et de Pierre Dac. Isabelle, sculptrice de nationalité suisse exilée à New York durant la guerre, où elle fréquente André Breton, Marcel Duchamp, Max Ernst, Leonora Carrington, Roberto Matta, Claude Lévi-Strauss, etc. Une correspondance publiée par leur fils Michel, dont j’ai noté quelques passages, surtout signés Isabelle.
La sale période des fêtes de Noël me frappe donc dans une relative solitude. Je passerai la soirée de lundi chez ce bon E.L.T. avec Marie Louise Berneri (la fille du Berneri qui fut tué pendant la guerre civile espagnole), charmante jeune anar italienne. Patrick, Londres, le vingt-deux décembre mil neuf cent quarante-trois
Il est question pour moi de réveillonner avec Matta. Il a pour moi des périodes d’amour fou dans lesquelles il me propose de venir habiter chez moi malgré les jumeaux (peut-être à cause d’eux). Puis quand je ne me montre pas très enthousiasmée et quand je lui rappelle que je ne suis pas libre, il se met à bouder et disparaît pour quelque temps. Isabelle, New York, le vingt-trois décembre mil neuf cent quarante-trois
Je suis régulièrement avec Robert et Nina le cours de Lévi-Strauss qui, après avoir traité des Jukas, a commencé la Colombie britannique. A part nous, il y a deux élèves tout au plus, mais le cours est fait comme s’il s’adressait à un auditoire nombreux. Isabelle, New York, le trente mars mil neuf cent quarante-quatre (Robert et Nina Lebel sont les parents de Jean-Jacques qui est le copain d’école de Michel)
Je lis aussi le Journal de Stendhal, il faut dire que j’aime surtout les paroles « dites » grossières et érotiques qu’il fait dire à ses femmes. Isabelle, New York, le dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre
Mme Mirkine ne pousse pas la complaisance jusqu’à me dire si vous baisez sa fille et combien de fois, etc., mais je compte sur vous pour les détails. (…) Matta me délaisse pour une Américaine très jeune et très riche. Isabelle, New York, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante-quatre
Je suis au lit, seul, malheureux, triste et atteint d’une humiliante infirmité : j’ai la gale. Une gale maligne, persistante et généralisée. Je pense avoir contracté cette pénible affection il y a très longtemps, dans cet infect trou de Saint-Pair, plage pourrie de l’abjecte Normandie française. Patrick, Paris, le douze décembre mil neuf cent quarante-quatre
Vous n’écrivez pas, vous ne télégraphiez pas. Nous sommes bien inquiets. Êtes-vous sur mer en route pour l’Amérique ou êtes-vous dans les bras d’une très jeune fille qui vous adore ? Je nous souhaite les deux. Isabelle, New York, le quatorze mars mil neuf cent quarante-cinq
J’ai fait la connaissance grâce à un mot de Duchamp, de Roché, élégant collectionneur qui possède des œuvres de Marcel, Picasso, Picabia et d’autres inconnus. Mon sort l’a ému jusqu’aux larmes, il s’est intéressé à mes productions et parle vaguement d’une exposition possible. Isabelle, Paris, le premier janvier mil neuf cent quarante-six
Je vous signale qu’on ferme les bordels le 15 mars, tâchez donc d’être là avant cette date. Sinon vous en serez réduit comme tout le monde à l’ascèse et à la littérature. Isabelle, Paris, le treize janvier mil neuf cent quarante-six
*
Auparavant lu au même endroit l’épaisse biographie de Dominique Aury, l’auteure d’Histoire d’O, amante de Thierry Maulnier puis de Jean Paulhan, mais aussi d’Édith Thomas, dont j’ai lu avec grand intérêt Pages de journal (1939-1944), puis de Janine Aeply, dont j’ai lu le roman érotique Eros Zéro. Cette dernière, souvent alcoolisée et abrutie par des tranquillisants, était la femme de Jean Fautrier qui aimait la voir baiser avec d’autres hommes qu’elle recrutait par petites annonces, ce qui peut rappeler un épisode judiciaire récent.
La sale période des fêtes de Noël me frappe donc dans une relative solitude. Je passerai la soirée de lundi chez ce bon E.L.T. avec Marie Louise Berneri (la fille du Berneri qui fut tué pendant la guerre civile espagnole), charmante jeune anar italienne. Patrick, Londres, le vingt-deux décembre mil neuf cent quarante-trois
Il est question pour moi de réveillonner avec Matta. Il a pour moi des périodes d’amour fou dans lesquelles il me propose de venir habiter chez moi malgré les jumeaux (peut-être à cause d’eux). Puis quand je ne me montre pas très enthousiasmée et quand je lui rappelle que je ne suis pas libre, il se met à bouder et disparaît pour quelque temps. Isabelle, New York, le vingt-trois décembre mil neuf cent quarante-trois
Je suis régulièrement avec Robert et Nina le cours de Lévi-Strauss qui, après avoir traité des Jukas, a commencé la Colombie britannique. A part nous, il y a deux élèves tout au plus, mais le cours est fait comme s’il s’adressait à un auditoire nombreux. Isabelle, New York, le trente mars mil neuf cent quarante-quatre (Robert et Nina Lebel sont les parents de Jean-Jacques qui est le copain d’école de Michel)
Je lis aussi le Journal de Stendhal, il faut dire que j’aime surtout les paroles « dites » grossières et érotiques qu’il fait dire à ses femmes. Isabelle, New York, le dix-sept juillet mil neuf cent quarante-quatre
Mme Mirkine ne pousse pas la complaisance jusqu’à me dire si vous baisez sa fille et combien de fois, etc., mais je compte sur vous pour les détails. (…) Matta me délaisse pour une Américaine très jeune et très riche. Isabelle, New York, le dix-neuf novembre mil neuf cent quarante-quatre
Je suis au lit, seul, malheureux, triste et atteint d’une humiliante infirmité : j’ai la gale. Une gale maligne, persistante et généralisée. Je pense avoir contracté cette pénible affection il y a très longtemps, dans cet infect trou de Saint-Pair, plage pourrie de l’abjecte Normandie française. Patrick, Paris, le douze décembre mil neuf cent quarante-quatre
Vous n’écrivez pas, vous ne télégraphiez pas. Nous sommes bien inquiets. Êtes-vous sur mer en route pour l’Amérique ou êtes-vous dans les bras d’une très jeune fille qui vous adore ? Je nous souhaite les deux. Isabelle, New York, le quatorze mars mil neuf cent quarante-cinq
J’ai fait la connaissance grâce à un mot de Duchamp, de Roché, élégant collectionneur qui possède des œuvres de Marcel, Picasso, Picabia et d’autres inconnus. Mon sort l’a ému jusqu’aux larmes, il s’est intéressé à mes productions et parle vaguement d’une exposition possible. Isabelle, Paris, le premier janvier mil neuf cent quarante-six
Je vous signale qu’on ferme les bordels le 15 mars, tâchez donc d’être là avant cette date. Sinon vous en serez réduit comme tout le monde à l’ascèse et à la littérature. Isabelle, Paris, le treize janvier mil neuf cent quarante-six
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Auparavant lu au même endroit l’épaisse biographie de Dominique Aury, l’auteure d’Histoire d’O, amante de Thierry Maulnier puis de Jean Paulhan, mais aussi d’Édith Thomas, dont j’ai lu avec grand intérêt Pages de journal (1939-1944), puis de Janine Aeply, dont j’ai lu le roman érotique Eros Zéro. Cette dernière, souvent alcoolisée et abrutie par des tranquillisants, était la femme de Jean Fautrier qui aimait la voir baiser avec d’autres hommes qu’elle recrutait par petites annonces, ce qui peut rappeler un épisode judiciaire récent.