Au Centre : Le Dorat

16 août 2020


Vivre le quinze août comme une journée ordinaire, tel est mon objectif, et pour ce faire, je prends à sept heures quarante-quatre le train pour Poitiers. Après avoir revu au passage et avec plaisir Bellac accrochée à son rocher, je descends à l’arrêt suivant, Le Dorat, capitale de la Basse Marche, à cinquante-six kilomètres de Limoges.
La Gare en est désaffectée, tout comme le Café de la Gare situé logiquement en face. Aucune hésitation sur la route à suivre, j’aperçois déjà l’immense collégiale qui fait la renommée de l’endroit. En m’en rapprochant, je passe devant le restaurant La Marmite où je souhaite réserver une table de terrasse mais rien n’y frémit.
Un échafaudage défigure partiellement la collégiale du Dorat, ce qui complique la photographie. Si elle est impressionnante par ses dimensions, je la trouve globalement laide et ne m’attarde pas. Empruntant une rue qui monte, j’arrive sur la place principale. Tous les cafés sont fermés mais pas la boulangerie. J’y achète un croissant et une chocolatine qui ont l’avantage d’être énormes. Je les mange sur un banc à proximité d’un aguiche touristes, belvédère d’où l’on voit une colline quelconque parsemée de maisons quelconques et agrémentée de six éoliennes qui ne tournent pas.
Puis je redescends pour découvrir la porte Bergère, seule porte fortifiée de la Haute-Vienne, solide et majestueuse. De là, je vais voir si ça bouge à La Marmite. Des lampes y sont allumées mais déception à mon arrivée, « restaurant complet » est-il affiché. Je tente de négocier une table pour un homme seul à midi précise, en vain. Celui qui me répond m’envoie au Cèdre à la sortie du bourg, mais aujourd’hui on n’y propose que des burgueurs ou une entrecôte à dix-neuf euros.
En revanche, pas loin, est un endroit atypique qui me sauve la mise : La Terrasse des Iles, bar restaurant épicerie brocante. La terrasse est sur l’arrière. Le maître des lieux propose un menu à treize euros, entrée plat dessert, même en ce jour férié, Il ne sait pas encore quoi. Mon impression étant bonne sur lui-même et sur sa boutique où se côtoient harmonieusement bibelots, primeurs et gens du pays déjà à l’apéro, je réserve une table.
En attendant qu’il soit l’heure du repas, je retourne au belvédère afin de descendre dans le jardin en contre-bas et y arrive en même temps qu’une vieille.
-Ah c’est pas vrai, y zont mis des éoliennes, s’exclame-t-elle.
-Et en quoi est-ce que ça vous dérange ?
-Ça me dérange, oui.
-Et votre masque, il ne vous dérange pas ?
-Et vous, vous l’avez pas mis !
-Moi je ne l’ai pas mis, mais quand je le mets, je le mets correctement, pas comme vous en bavoir.
-Spèce de con !
C’est assez content de moi que je poursuis la lecture des Essais de Montaigne sur un banc ombragé. Je ne vois personne passer dans ce jardin jusqu’à ce qu’il soit l’heure de retourner à La Terrasse des Iles. L’épouse du patron est en cuisine. Elle est originaire de Madagascar. La carte et le menu en profitent.
Installé bien à l’ombre, près d’un jardin où ne poussent que des potirons, se succèdent sur ma table nems maison, rougail saucisse maison avec des haricots verts de Madagascar et gâteau maison ananas coco framboise. Tout est délicieux. Aux tables voisines sont un duo d’hommes anglais habitués du lieu et un trio père mère fille n’ayant pu entrer dans La Marmite et estimant comme moi que c’est une chance.
-Tous les maris envoient leur femme en éclaireur, constate la fille quand arrive la moitié d’un couple.
-Oui mais moi, je m’occupais du chien, tente de se justifier son père.
Ils ont eu la bonne idée de le laisser dans la voiture.
-Je vous ai mis un petit chocolat de Madagascar au baie rose, me dit le sympathique cafetier restaurateur épicier brocanteur quand il m’apporte le café.
Le beau ciel bleu se charge de nuages noirs quand je reviens vers la Gare. En passant devant La Marmite, je constate qu’aucune des tables de la terrasse n’est occupée. Ces fainéants préfèrent ne servir qu’à l’intérieur.
Je lis Montaigne à la Gare de Le Dorat (comme il est écrit sur son fronton) jusqu’à ce qu’arrivent en même temps, de directions opposées et sans être annoncés, deux trains du Limousin. Heureusement qu’une jeune fille est là pour me dire lequel va à Poitiers et lequel à Limoges.
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Au Dorat, la Médiathèque toute récente, inaugurée le vingt janvier deux mille vingt, et dont une fenêtre semble avoir explosé, se nomme Gaëtan Picon.
« Mais pourquoi Monsieur le Maire a-t-il proposé au Conseil Municipal le nom de Gaëtan Picon pour la Médiathèque Municipale ? Bernard Magnin a débuté sa carrière de médecin dans la maison familiale Picon. Depuis cette époque, il est en relation avec les fils et la belle-fille de cet illustre Dorachon d'adoption.
Au fil des années, il a apprécié son œuvre littéraire et il a pris conscience du travail qu'il a effectué auprès du Ministre André Malraux ; avec la mise en place d'une politique ambitieuse pour les musées et un soutien aux artistes. Gaëtan Picon a très largement contribué au développement des Maisons de la Culture.
Monsieur le Maire a voulu nous faire partager son engouement pour l'œuvre et le travail de Gaëtan Picon. C'est pour cette raison qu'il a proposé cette dénomination pour notre Médiathèque Municipale. La décision a été votée à l’unanimité par le Conseil Municipal.
Le jour de l'inauguration, le discours de Monsieur le Maire, s'inspirait de ses documents personnels et de ceux fournis par la famille Picon qui a validé ses propos. » (page Effe Bé de la ville du Dorat).
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Gaëtan Picon a été inhumé au cimetière du Dorat. Dommage de ne l’avoir appris qu’une fois rentré.