Au Clos Saint-Marc en pleine bouffée de chaleur

23 avril 2018


Et bien sûr tout le monde se félicite de cette chaleur estivale débarquée tout droit du changement climatique l’avant-dernière semaine d’avril. Ce vendredi matin, côté brocanteurs et bouquinistes, le marché du Clos Saint-Marc fait le plein. Tel qui ordinairement n’y sort ses livres des cartons que vers dix heures, à moins qu’un acheteur éventuel et impatient ait fait le boulot à sa place, a déjà tout installé sur ses tables.
Cela permet au lève-tôt que je suis de faire le tour de son stock, par ailleurs renouvelé. On y trouve du bon, mais je me restreins au très bon. A un autre, il vend six livres pour dix euros. J’ai en main Lettres à Martin Zapater de Francisco de Goya aux Editions Alidades, que j’estime à deux euros, auquel j’ai ajouté L’homme assis dans le couloir, très court texte de Marguerite Duras publié chez Minuit, que j’estime à un euro.
Je lui demande combien pour ces deux livres.
-Quatre euros, me dit-il
-C’est deux et deux ou bien trois et un ? lui demandé-je.
-Je vois pas les choses comme ça, me répond-il, je vous ai fait un prix pour le lot. Le Goya c’est rare, j’en ai jamais vu un autre.
-C’est vrai, lui dis-je, mais le Duras ne fait que vingt pages avec des marges énormes.
Mon argument le laisse de marbre (comme on dit). Je n’insiste pas. Depuis au moins une semaine je suis d’une humeur exécrable et je connais le gaillard, ça pourrait dégénérer. Je paie les quatre euros demandés.
Ce n’est pas la première fois, avec ce marchand comme avec certains de ses collègues, que je paie plus que les autres. J’y vois deux raisons.
D’abord, lorsque je choisis un livre ils savent que c’est un bon, que j’y tiens déjà et que je paierai le prix exigé s’il reste raisonnable.
Ensuite, je ne copine pas avec eux comme le font la plupart des acheteurs réguliers, avec qui ils sont à tu et à toi, tapes sur l’épaule et plaisanteries à la rouennaise.
Celui à qui j’ai affaire ce vendredi, un jour m’a dit bonjour en me tutoyant et j’ai répondu en refusant de faire de même.
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Un peu plus tard, rue de la Champmeslé, je me fais choper par la voiture à TomTom. Usant de mon sac plastique pour cacher mon visage, j’en maudis le conducteur.
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L’endroit idéal à midi, pour lire après avoir bu un café, la terrasse du Son du Cor débarrassée de son pesant auvent. Les deux femmes à chiens, dont l’un aboyeur et vomisseur, n’y sont heureusement pas. A leur place, trois lycéennes de seconde papotent.
La première, à propos d’un garçon évidemment : « Il était sur moi. On a failli sortir ensemble. Mais il était hyper trop timide. C’est moi qui faisais la conversation toute seule. »
La deuxième, à propos d’un autre dont la troisième lui montre la photo : « Il est drôlement mignon. Tu dois pas être son premier coup. »
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En fin d’après-midi, je suis au jardin avec mon ordinateur installé sur un plateau posé sur deux tréteaux à l’ombre du bâtiment, car l’arbre élagué ne peut faire office de parasol. Encore moins de fleurs cultivées cette année, quelques tulipes esseulées et des jonquilles déjà fanées. En revanche, des pâquerettes par milliers dans la pelouse qui sera tondue on ne sait quand et des pissenlits dans la jardinière en forme de vasque qui accueille les visiteurs et visiteuses.
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Arbres : ceux abattus sur la presqu’île Saint-Gervais par la Mairie de Rouen pour satisfaire aux exigences des forains de la Saint-Romain l’ont été illégalement, vient de juger le Tribunal Administratif.
Ça leur fait un beau tronc (comme on dit chez les végétaux).