Au Sud (cinq) : Toulon Le Mourillon

7 avril 2024


Ce six avril est le premier samedi du mois et c’est donc vide greniers au Mourillon, le seul quartier de Toulon valant le détour. Il est aussi celui des plages de la ville.
Je prends le bus Trois devant le mythique Stade Mayol. J’en descends boulevard Bazeilles dès que j’aperçois le déballage. Il y a là une moitié de professionnels et une moitié de particuliers. Chez les professionnels, quelques bouquinistes mais ces fainéants ne sont pas encore complètement installés. Chez les particuliers, rien de particulier. Je profite de cet arrêt infructueux pour monter voir l’église Saint-Flavien puis reprends un bus Trois jusqu’à son terminus Le Mourillon, près de la Base Nautique.
C’est ensuite une agréable balade le long des plages d’anse en anse, à bâbord la presqu’île de Giens, à tribord la presqu’île de Saint-Mandrier. Avant le Fort Saint-Louis,  je retrouve le bar tabac La Réserve et sa terrasse surélevée avec vue sur le large. Mon café bu (un euro soixante-dix), je lis quelques lettres d’August Strindberg. Je poursuis ensuite la marche côtière jusqu’au Port Saint-Louis puis attends le bus Trois du retour à l’arrêt Mitre.
Arrivé au centre de Toulon, je m’installe au premier rang de la terrasse du Grand Café de la Rade pour un café à deux euros face à l’entrée et sortie du Port. A ma gauche s’assoient une fille et ses parents. « L’autre fois, leur dit-elle, on s’est toutes pris des nouvelles, les filles du lycée. Elles ont toutes des gosses ou bien elles sont enceintes. » Cela dit du ton de la fille qui n’a trouvé personne. Cette future pharmacienne va bientôt partir en expédition de survie sur un radeau avec trente autres volontaires. Je n’en saurai pas plus car comme ils sont déjà là depuis un quart d’heure sans que l’on se soit occupé d’eux, vexés ils s’en vont. Derrière moi, un jeune homme cite Frank Lloyd Wright : « La construction est l’art de transformer les matériaux en espace. »
C’est le jour où retourner à l’Unic Bar, chez Béchir, place Hubac, pour manger en terrasse le couscous à quinze euros quatre-vingt-dix fabriqué par son épouse dans une cuisine peu confortable. Il est toujours aussi copieux, et bon comme là-bas, disent ceux qui en viennent et ne font pas le ramadan. A ma droite, des buveurs de pastis se racontent des histoires de pêche d’antan. Ils sont contents : cet après-midi, il y a deux matchs de rugby à la télé et demain, c’est le Paris Roubaix.
Le café, il fait trop chaud pour que je le prenne ailleurs qu’à l’ombre. Je trouve une place au France, vue sur le Port et les fesses du Génie de la Navigation. Là encore, je lis quelques lettres de Strindberg après avoir bu mon noir breuvage (un euro quatre-vingts). Un couple et leurs deux filles sont à peine installés que leur bondit dessus un trentenaire du genre affranchi : « Je vends ces marque-pages artistiques. C’est moi qui les fais. C’est deux euros, mais si vous n’avez pas de thunes, je vous en offre un. Non ? Vous ne réalisez pas ce que c’est qu’un don ? Moi, à chaque fois que l’on m’a offert quelque chose, je l’ai pris, et c’est rare de nos jours les cadeaux. Bon, si vous ne comprenez pas mon geste, je vous laisse. »
Il retourne s’asseoir devant l’ancienne Mairie.
-Purée, il fallait que ça tombe sur nous, commente la mère de famille.
Le plus étrange, c’est que le seul avec qui il ne tente pas le coup, c’est moi qui ai un livre ouvert sur la table. Dommage, j’aurais aimé lui dire que je ne prendrai pas son marque-pages gratuit parce que j’ai de la thune et que je ne l’achèterai pas parce que j’en ai déjà un.
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Au premier étage d’un petit immeuble du Mourillon un panneau « A louer » accompagné d’une banderole « Nos appartements sont plus beaux que nos collaborateurs ».
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Dans le Port de Toulon, un affreux bateau de croisière. Non seulement il pollue et défigure l’endroit mais on entend les annonces faites à bord.
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Pas trouvé trace de la citation de Frank Lloyd Wright en interrogeant Gougueule de retour dans mon studio Air Bibi.