Au Sud, cinquième : Frontignan

21 mai 2018


Par beau temps ce dimanche à huit heures cinquante je grimpe dans le train qui va jusqu’à Port Bou après l’avoir attendu près d’un couple à chienchien, elle sosie de France Gall et lui sosie de François Ruffin. J’en descends onze minutes plus tard à Frontignan, bien connue pour son muscat, et dont une partie se trouve en bord de mer mais par où passer pour y aller à pied ?
L’un me conseille de prendre un bus, une autre me reproche de n’avoir pas de téléphone avec gépéhesse, le troisième me met sur le chemin. Pour les piétons, pas d’autre choix que d’emprunter la piste cyclable sur deux kilomètres cinq. Elle longe la route et passe entre deux étangs puis près d’énormes cuves de carburant. Enfin j’arrive au port de plaisance. L’Office de Tourisme est ouvert qui fait local commun avec la Capitainerie. Un trentenaire m’y remet un plan. Quand je lui donne mon code postal, il m’apprend qu’il est un gars du Pays de Caux, ici depuis dix ans.
Pour se balader le long de la mer, il faudrait marcher dans le sable, ce dont j’ai horreur, aussi je décide de faire dans l’autre sens les deux kilomètres cinq de piste cyclable imposée aux piétons et me voici de retour au bourg où passe un canal dont j’ignore le nom.
Frontignan ressemble à tous ces villages du sud où l’on crève de chaleur en été, maisons serrées et allées de platanes. En plein milieu, devant la Mairie, se trouve le Central Bar avec son immense terrasse rouge et noire près de laquelle s’installent les deux musiciens du Corleone Band. Le midi, on sert ici des brochettes.
C’est ailleurs que je déjeune, au restaurant Le Goût des Hôtes, qui loue aussi des chambres. Sa tenancière ressemble à une ancienne coiffeuse, d’où le jeu de mot laid peut-être. Elle a une haute idée de sa maison, aussi quand quatre femmes mûres lui annoncent qu’elles veulent manger vite pour aller ensuite rejoindre les maris au rugby, elles s’entendent répondre qu’elles sont dans un vrai restaurant où l’on cuisine des produits frais et que cela prend du temps. « Comme si on avait l’habitude d’aller dans des gargotes ! », maugrée l’une d’elles.
Nous déjeunons dans un patio où est diffusée de la musique jazzy, sous un figuier qui a besoin de l’aide de parasols pour nous ombrager. Arrivent un couple de quinquagénaires, leur fiston au crâne rasé et la vieille grand-mère qui accroche sa canne à un siège pour bébé. C’est son anniversaire. Elle a droit à deux cadeaux, l’un utile qui vient de la pharmacie et l’autre pour le plaisir : le dernier livre de Jean d’Ormesson. L’ancêtre cache sa joie et fait remettre tout ça dans le sac. Une autre famille s’installe dont la plus jeune ne mange ni viande rouge ni gluten ni lactose. Eh bien ce sera une salade de magret sans magret et des filets de rouget sans sauce.
La vie des autres est souvent consternante. Cela me console de la mienne, guère glorieuse.
« Monsieur prendra-t-il un café après son dessert ? », me demande la tenancière qui depuis le début du repas me parle comme si elle était ma gouvernante.
Non, il le va boire au Central Bar. S’y termine le concert country folk rock du Corleone Band. Je poursuis là ma (re)lecture du Journal de Matthieu Galey jusqu’à seize heures moins dix.
A seize heures dix, je suis de retour à Montpeu (comme disent certains jeunes). A la sortie de la gare deux zonards et une zonarde ont une franche discussion, cette dernière parle d’elle-même en ces termes : « C’est pas toujours la même mongole qui va payer les joints ». Au bout de la rue de Verdun, face à l’hôtel, la Police serre contre le mur un jeune homme à casquette. Cette rue où je loge, qui mène droit à la place de la Comédie, est diversement fréquentée, le jour et surtout la nuit.
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J’ai toujours rêvé d’avoir une gouvernante. Dans le genre soubrette de préférence. Les temps sont hélas révolus où ce n’était pas réservé aux riches.