Au départ de la « Grande marche festive pour la libération des Bouillons »

24 août 2015


Obligatoirement « festive », une grande marche entre Rouen et Mont-Saint-Aignan est organisée par les anciens occupants de la Ferme des Bouillons réfugiés dans le champ voisin après leur expulsion par les Céhéresses pour laisser place aux acquéreurs officiels, les frères Mégard soutenus par la Safer, le Ministère de l’Intérieur et Auchan. Son point de départ est à dix heures ce dimanche au Clos Saint-Marc où se tient le plus gros marché de la semaine. Je ne sais si cette marche sera grande mais elle sera longue (comme du temps des maoïstes) et fatigante, ça monte. En fait de libération, il s’agira d’accrocher des mots doux sur la clôture érigée par les acquéreurs autour de leur nouveau bien (mal acquis).
Pas question que je participe à quoi que ce soit de festif, je ne suis là qu’au départ, en retrait derrière les policiers, des jeunes en uniforme et des vieux à cheveux blancs en civil. L’un de leurs amis les salue, pantacourt et chemise au vent. « Je suis habillé comme un Bouillon », leur dit-il.
Les futurs marcheurs arrivent régulièrement. La télé locale est là, dont la caméra est protégée de la pluie par une bâche. Un accrochage verbal a lieu entre Claude Taleb, Vice-Président de la Région Haute-Normandie, du Parti Ecolo, et je ne sais qui, peut-être parce que les Verts tout en soutenant à Rouen les anciens occupants des Bouillons mis à mal par le Péhesse ont passé le samedi à faire du lèche Fabius à Villeneuve-d’Ascq lors de leurs Journées d’été. « On reste unis, on reste unis », clame une bonne âme.
Quand tout le monde est là, les festivités commencent. Un comique à cravate blanche grimpe sur une chaise de bar pour faire son chaud, égrenant à son public tous les jeux de mots que l’on peut faire avec Bouillons et Mégard, « mais je m’égare ». A l’issue, la foule entonne « On lâche rien », ce qu’il est d’usage de faire quand on a déjà perdu.
Un jeune homme me tend un tract. Je lui dis que je suis au courant mais que je reste en dehors. Pourquoi ? me demande-t-il. Je lui explique mon allergie aux actions « festives ».
-C’est ça ou la violence, me dit-il
-Festif n’est pas le contraire de violent, lui dis-je.
Il m’invite à venir donner mon point de vue aux assemblées générales. Inutile, lui dis-je, je ne suis pas à ma place dans le monde tel qu’il est mais pas davantage dans celui que vous désirez. Il me dit alors que cette marche festive est un exutoire, il ne faut pas que certains qui ont envie d’en découdre physiquement passent à l’acte.
Un sexagénaire à tête de beauf vient voir de quoi il retourne et déclare à ce candide jeune homme qu’il a « fait Mai Soixante-Huit », mais que maintenant on vit en dictature, si tu dis ce que tu penses on te traite de raciste. Le jeune homme bat en retraite. Après une nouvelle altercation entre un écologiste et un antinucléaire, la marche démarre. La première étape sera le cinéma Omnia. Même le moins futé des policiers sait qu’en face se trouve le local du Parti Socialiste.
Sous mon parapluie, je regarde partir le cortège festif, entre Singin’ in the Rain et chemin de croix.
-Le marché peut commencer, déclare un fleuriste.
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La suite m’est connue par le réseau social Effe Bé, un cortège accueilli par les Céhéresses, gaz lacrymogènes, coups de matraque, puis autorisation donnée à une vingtaine de marcheurs d’aller accrocher les mots doux sur la clôture des frères Mégard.
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Le champ dans lequel sont désormais installés les anciens occupants de la ferme ne serait pas départemental mais municipal. La Maire de Mont-Saint-Aignan, Catherine Flavigny, membre de Les Républicains, ayant demandé leur expulsion, la suite est prévisible.