Au sommet de la Tour des Archives

18 mai 2025


Vendredi après-midi, par le réseau social Effe Bé, j’apprends que les Archives Départementale de la Seine-Maritime organisent ce ouiquennede une visite « exceptionnelle » de la Tour des Archives de Rouen pour la raison qu’elle a soixante ans et qu’il reste des places. Suis un simple numéro de téléphone fixe. J’appelle. Une voix féminine me répond. En deux temps trois mouvements, me voilà inscrit pour la première visite du samedi.
Je ne pouvais laisser passer l’occasion de grimper au sommet du deuxième plus haut bâtiment de la ville. Le premier me restera interdit. Le temps n’est plus où l’on pouvait par l’escalier intérieur monter jusqu’à l’ultime plate-forme de la flèche de la Cathédrale de Rouen, comme eurent la possibilité de le faire Stendhal et Pierre Louÿs (entre autres).
Le lendemain matin, je traverse la Seine par le pont Corneille. A neuf heures, je suis l’un des trois hommes invités à entrer par un vigile et un pompier. Après avoir traversé la cour en passant au pied de la tour, nous sommes accueillis dans le bâtiment adjacent de celle-ci par une archiviste et un autre pompier.
Nous montons directement en haut par l’ascenseur intérieur qui ne pourrait pas contenir plus que nous sommes. Celui d’extérieur, une bulle de verre, est hors d’usage depuis un moment, nous dit celle qui va nous servir de guide. « De plus, il ne pouvait pas fonctionner par un vent supérieur à trente kilomètres heure. »
Quand l’ascenseur s’arrête, nous sommes au vingt-neuvième étage. Il en reste un à monter à pied pour être au somment d’où l’on a vue sur tout Rouen et ses alentours. Cette plate-forme de la Tour des Archives de Rouen est le spot parfait pour qui veut en finir avec la vie.
Les deux autres ont apporté des appareils photo auprès desquels le mien semble un jouet d’enfant. Je les soupçonne d’être des journalistes locaux. Il fait gris, ce qui permet de photographier sans être gêné par le soleil. A quatre-vingt-neuf mètres de haut, nous admirons le panorama, aval, amont, rive gauche, rive droite. Je connais tout ce que je vois, mais ce n’en est pas moins intéressant. Et je suis le seul à voir les éoliennes qui tournent sur la Côte Sainte-Catherine. Ce grand terrain vide en bas, nous dit l’archiviste, c’est l’emplacement de la future Gare. Une Gare hypothétique, me dis-je. A côté de ce rectangle inoccupé est ce qu’on appelait la Friche Lucien. Ça a changé de nom, mais c’est toujours un lieu pseudo alternatif pour fêtards ayant des idées avancées.
Quand on a tout bien vu, bien photographié, nous descendons au quinzième étage, identique à tous les autres, pour voir comment sont rangées les archives. Elles sont dans des boîtes en carton posées sur des étagères, comme partout. L’un des deux autres a toujours des questions à poser, pas très malignes. C’est ce que j’appelle un brave garçon.
Pour finir, le pompier et l’archiviste nous ramènent au niveau zéro où un autre archiviste a disposé trois documents pour nous dans la salle de consultation : un numéro du Journal de Rouen, la liste d’équipage d’un bateau du Havre et un registre paroissial d’état-civil. D’où de nouvelles questions du brave garçon. Cela devait durer une demi-heure, nous en sommes au double.
D’autres archivistes nous attendent à l’accueil, qui nous demandent si ça nous a plu. Pour chaque visiteur sont offerts un bonbon et un sac bleu en plastique du Département de Seine-Maritime avec de la documentation à l’intérieur. Je refuse le bonbon, ce qui est courageux, et accepte le sac sur lequel est écrit « La Seine-Maritime s’enflamme pour les Jeux », ce qui ne l’est pas. Pourvu que personne de ma connaissance ne me croise avec ça à la main quand je vais rentrer.
                                                                  *
Vendredi vers neuf heures, passage au Clos Saint-Marc où les cartons de livres de Thierry ont déjà été fouillés par l’ennemi, mais qui à part moi pour être intéressé par la biographie d’un dont le nom m’a toujours réjoui : Poulet Malassis, l’éditeur de Baudelaire. Cet Auguste Poulet Malassis de Claude Pichois chez Fayard devient mien pour trois euros. Par acquit de conscience, comme on dit, je regarde une nouvelle fois le contenu de chaque carton. C’est ainsi que dans l’un, je découvre deux Dominique Meens, Eux, et nous et Ornithologie du promeneur, ainsi que le Villon François de Marcel Schwob, trois Allia grand format, jamais vus ailleurs. Je rejoins Thierry. « Et pour ces trois-là ? » « C’est à moi ça ? » me demande-t-il. « Je ne sais pas si c’est à vous, mais c’était dans un de vos cartons. » « Huit euros », me dit-il. « J’espérais un peu moins. » « C’est des livres rares. » « Je sais, c’est pour ça que je les achète. » « Sept euros », me dit-il. On peut négocier avec lui mais avec diplomatie.