Au vide grenier dieppois du Pollet

9 mai 2016


Nous ne sommes qu’une poignée dans le train de six heures quarante pour Dieppe. Le contrôleur s’ennuie. Il vient s’asseoir dans la voiture dont je suis le seul occupant et explore son téléphone. Il peut néanmoins se rendre utile à Longueville-sur-Scie où montent trois femmes à qui il vend un billet. La campagne normande est belle et peuplée d’animaux de boucherie.
Arrivé à Dieppe à marée basse, je passe les deux ponts, le levant, le tournant, et me voici au Pollet, ce quartier de pêcheurs et d’ouvriers que j’apprécie fort. S’y déroule ce samedi ce qu’on appelle la braderie et qui est surtout un vide grenier. Je sais par expérience que j’y trouverai peu ou rien car ici on lit surtout des policiers et Lévy-Musso.
Je vois aussi plusieurs exemplaires de Cinquante nuances de Grey. Serait-ce parce qu’un des bars s’appelle La Cravache d’Or ? Les autres estaminets ont pour nom La Cale, La Cambuse, Au Coup de Roulis. Il y a aussi mon préféré, le Mieux Ici Qu’en Face, mais le matin il ne porte pas bien son nom, étant à l’ombre.
Une femme vend le numéro un d’Actuel, dernière formule. Il ne m’intéresse pas mais je lui en demande le prix.
-Vous avez remarqué que c’est le numéro un, me dit-elle (j’aurais eu du mal à ne pas, c’est écrit en gros sur la laide couverture).
-Il faut toujours acheter les numéros un, poursuit-elle, ça prend de la valeur.
-Vous le vendez combien ?
-Cinq euros.
Il coûtait trente francs à sa sortie. La plus-value est mince. Je le repose. Elle essaie de me retenir en m’expliquant qu’il y a des gens qui font collection des numéros un des revues.
-Je sais, lui dis-je, et parmi toutes les collections, c’est sans doute la plus stupide.
Je repasse les ponts afin de trouver le soleil à la terrasse du Tout Va Bien. J’y lis Mémoire de fille d’Annie Ernaux, peut-être son meilleur livre.
A midi pile, je m’installe à l’une des tables de trottoir du Nautic d’où j’ai vue sur les bateaux de pêche à marée haute entre deux poubelles qui débordent. J’y déjeune d’une assiette de fruits de mer (crevettes, bulots, bigorneaux) suivie d’une choucroute de la mer et de deux choux à la crème, cela en buvant du chardonnay et en regardant passer d’incroyables familles sorties de je ne sais quelles contrées. Certaines cherchent une table dedans ou dehors dans tous les restaurants du quai mais à midi et demi leur constat est unanime : « Le problème, c’est qu’y a plus de place nulle part. »
Après le café et un règlement de vingt-six euros, je vais voir la mer côté plage où l’on fait file pour manger devant chaque gargote tandis qu’arrive le bateau d’Angleterre puis je me réfugie loin du tourisme à la terrasse de La Potinière près de l’église Saint-Rémy. J’y poursuis Mémoire de fille en attendant l’heure du train de retour.
Celui-ci, le seize heures neuf, est bien rempli et permet au contrôleur de justifier son salaire. Plus qu’à traverser Rouen à pied jusqu’à la maison, je suis encore dans la venelle que je sais déjà qu’Aboyus est de retour.
                                                               *
Au Nautic près de moi mange une famille de quatre : papa, maman et son cinq ans d’un premier lit (comme on disait) et le deux ans des deux.
Le père :
-Ça aurait été bien qu’il mange autre chose que des frites.
La mère :
-Ça  va, il retourne à la crèche dès lundi, t’inquiète.
                                                              *
On trouve le numéro un d’Actuel (dernière formule) à quatre-vingt-dix centimes sur Price Minister.