Carte blanche à Marcel Azzola à l’Opéra de Rouen


Bien du mal à obtenir une place correcte par la carte blanche à Marcel Azzola à l’Opéra de Rouen que propose Rouen Jazz Action ce dimanche à dix-huit heures, aussi quand l’aimable guichetière me propose une chaise au-dessus de la fosse, je saute dessus. « C’est parfait, lui dis-je, je verrai Marcel de près ».
A l’ouverture des portes de la salle, j’opte pour la meilleure chaise du premier rang, au centre. A ma gauche s’installe un homme à longs objectifs qu’une demi-heure plus tard Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, au micro sur scène pour dire quelques mots, indique être le photographe officiel.
Marcel Azzola, quatre-vingt-neuf ans, fils d'immigrés italiens ayant fui le fascisme,  entre en scène accompagné d’une guère plus jeune, la pianiste Lina Bossati (également chanteuse et violoniste) qu’il a rencontrée dans les années soixante. « D’habitude, j’entre avec mon accordéon, nous dit-il, mais comme je l’ai oublié sur la chaise, vous allez assister à son installation ». Le duo complice attaque avec L’Accordéoniste d’Edith Piaf, faisant la démonstration qu’on peut être vieux et avoir toujours les doigts agiles.
Place ensuite aux invités, « de magnifiques musiciens », les accordéonistes Daniel Mille et Lionel Suarez, l’harmoniciste Olivier Ker Ourio, le guitariste Sylvain Luc, le contrebassiste Diego Imbert et le batteur André Ceccarelli, lesquels jouent des reprises et des compositions, augmentées de l’improvisation qui fait le sel du jazz. « J’ai bien fait de venir », déclare Marcel. « Nous aussi », lui répond une dame assise derrière moi. Le photographe opère avec discrétion.
On revoit Marcel pour une belle interprétation avec Lina de la Rhapsody in Blue de George Gershwin, puis en trio avec Lionel Suarez et Daniel Mille dans Place Sainte-Catherine, une composition de ce dernier.
Le moment le plus émouvant est celui où Marcel Azzola rend hommage avec Lina Bossati à son ami Jacques Brel dans un pot-pourri (comme on dit) allant d’Amsterdam à Vesoul.
A la fin, Marcel, Lina et leurs invités jouent ensemble trois morceaux bien connus qui ont révolutionné l’accordéon
C’est un triomphe pour Marcel Azzola, ainsi que pour Lina Bossati et pour toute la troupe « C’est comme ça qu’on dit, on n’est pourtant pas des militaires ».
-J’ose pas le dire, nous dit Marcel, je suis déjà venu dans cette salle… il y a cinquante ans… avec les Compagnons de la Chanson. Edith Piaf était dans le public.  J’en raconte pas plus.
-Merci d’avoir applaudi, ajoute-t-il
-Bonne année, lui crie une spectatrice
-Ah oui, c’est vrai, une bonne année, il est pas trop tard.
Bonne, la soirée l’a été, et même excellente. Il pleut à la sortie. Je regarde ma montre. Le concert prévu pour une heure trente aura duré presque une heure de plus.
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D’ailleurs j’ai horreur/ De tous les flonflons,/ De la valse musette/ Et de l’accordéon, chante Jacques Brel dans Vesoul. Combien j’en ai eu horreur moi aussi enfant et adolescent quand il me fallait dans la maison familiale subir les accordéonistes chaque dimanche matin sur Radio Luxembourg.
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Marcel Azzola était célèbre bien avant le « Chauffe Marcel ! » de Jacques Brel dans Vesoul, ce « Chauffe Marcel ! » étant pour un temps devenu une expression obligée quand il s’agissait d’en mettre un coup. Il était l’un des trois rois de l’accordéon. Le premier était André Verchuren, que j’ai eu la chance de voir et entendre peu avant sa mort sur les quais de Rouen un Quatorze Juillet où j’étais bien accompagné. Le troisième roi était (et est encore) une reine, Yvette Horner. L'autre jour, j'écoute la radio en me réveillant/ C'était Yvette Horner qui jouait de l'accordéon/ Ton accordéon me fatigue Yvette/ Si tu jouais plutôt de la clarinette/ Oh, Yeah ! chantait Antoine dans les Elucubrations en mil neuf cent soixante-six. Nous étions beaucoup à souffrir.
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« Rappel : à partir de la semaine prochaine l'Ubi ne sera ouvert que lors des évènements. » Je n’avais pas vu le premier avertissement. Moi qui m’apprêtais à y retourner après la vague de froid (comme on dit). C’est cuit. Ce lieu artistique mutualisé n’a jamais eu les moyens de son ambition. Il en a tiré les conséquences.