Ce que j’ai chopé chez Schopenhauer

28 août 2021


De quoi parle Arthur Schopenhauer dans ses lettres qu’il ne souhaitait pas voir publiées et qui le sont aux Editions Alive sous le titre Correspondance complète? D’embrouilles d’argent (avec sa sœur, avec ses éditeurs), de philosophie surtout vers la fin quand la reconnaissance du public lui vient (ce qui me passe au-dessus de la tête) et de ses photographies et bustes (dont il veille à la généreuse distribution). 
Mon choix personnel se porte sur quelques vacheries :
C’est-à-dire que si vous ne payez pas de bon gré, je vous intente un procès en recouvrement de traite. Vous voyez qu’on peut être philosophe sans pour autant être fou. A Abraham Ludwig Muhl, le premier mai mil huit cent vingt et un
Avec l’Italie, on vit comme avec une amante : un jour dans une violente dispute, le lendemain en adoration : avec l’Allemagne on vit comme avec une ménagère, sans grande colère et sans grand amour. A Friedrich Gotthilf Osann, le vingt-neuf octobre mil huit cent vingt-deux
Mais cette fichue populace ne lit toujours que ce qui est nouveau. A Julius Frauenstädt, le deux janvier mil huit cent cinquante-deux
Beaucoup de suicides à Berlin ? Je veux bien le croire ; c’est un patelin maudit, physiquement et moralement, et je remercie vivement le choléra qu’il m’en ait chassé, il y a 23 ans, et amené ici, dans un climat plus calme et une vie plus douce. (Ici : Francfort-sur-le-Main) A Julius Frauenstädt, le neuf avril mil huit cent cinquante-quatre
Mais il ne faut jamais oublier que les Français seront toujours français, c’est-à-dire paresseux, frivoles, hâbleurs… A Julius Frauenstädt, le trois novembre mil huit cent cinquante-cinq
Dans ma 70e année, je sens plus que jamais la valeur du temps : mettre de côté pendant plusieurs jours des études diverses et intéressantes qui m’occupent, afin de lire le manuscrit d’une biographie d’un Monsieur que je ne connais pas, cela dépasse mes capacités. A Karl Debrois Van Bruyck, le cinq mars mil huit cent cinquante-huit
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A l’âge de neuf ans, Arthur Schopenhauer fut laissé par son père chez les Blémisaire, une famille de commerçants du Havre, afin qu’il apprenne le français. Il y resta deux ans, oubliant presque l’allemand. Une lettre fort intéressante est celle écrite, dans un français personnel, à son ami d’enfance Anthime Grégoire de Blésimaire, le dix décembre mil huit cent trente-six :
Tu n’es donc plus au Hâvre ? plus de maison de commerce ? très bien : mais moi qui, encore dernièrement, voyait avec plaisir dans les journaux, qu’on projette un chemin-de-fer de Paris au Havre, & calculois, que si jamais mon destin me mêneroit à Paris, je pourrais en peu d’heures, être au Hâvre ! Eh bien, même sans toi, j’irois ! (…)
Mon revenu diminué me suffit encore, vivant en garçon, en chambre garnie, dinant à table d’hôte, le tout sans luxe, mais décemment, j’ai le nécessaire & rien de plus, & je remercie le sort, de n’avoir ni femme ni enfants : 2 bâtards, que j’avois, sont morts jeunes. (…)
… étant depuis longtems rassasié & dégouté du commerce des hommes, & sachant qu’ils ne valent pas la peine de perdre mon tems avec eux : partout ils forment, quant à l’aspect extérieur, un cabinet de caricatures, quant à l’esprit, un hôpital de fous, -& quant au caractère moral, un cabaret de filous.
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La naissance d’un livre sans fautes est aussi rare que celle d’un enfant sans défauts. écrivait Arthur Schopenhauer à Justus Radius le neuf juin mil huit cent trente.
Les Editions Alive et leur traducteur Christian Jaedicke semblent avoir eu pour dessein d’illustrer ce propos. On y trouve d’aussi grossières erreurs que « il exclua » « des bails » « intérêt pécunier » « de grandes éloges ». Ce n’est qu’une sélection.