Champ visuel et champ littéraire

10 janvier 2023


Muni d’un parapluie que je ne suis pas obligé d’ouvrir, je me rends pédestrement ce mardi après-midi de l’autre côté de l’eau à la Clinique Mathilde. Arrivé au bâtiment « Ophtalmologie », je monte au troisième étage et me rends dans la salle d’attente « Champ Visuel ». Bien que cela fasse au moins cinq ans que je fréquente l’usine de l’étage du dessous, où l’on surveille notamment mon glaucome, c’est la première fois qu’on m’en demande un.
A cet étage aussi c’est l’usine, le médecin qui m’appelle a déjà deux patients en cours d’examen. Je prends place dans la troisième cabine et c’est parti pour les petites lumières qu’il faut biper quand on les voit, un exercice que je déteste.
Après avoir payé quarante euros dix-sept centimes, je descends d’un étage. Bientôt le boss appelle mon nom. C’est la première fois que je le revois depuis ma première visite ici. Entre temps, ce sont des remplaçants qui se sont occupés de ma vision. Il me parle de ma cataracte qu’il serait bon d’opérer l’an prochain et on en profiterait pour agir sur le glaucome aves des stens. « Je peux même supprimer votre myopie en même temps. »
« Vous avez peur de l’opération ? Ce n’est pas grand-chose. On en reparlera la prochaine fois. Je ne dis pas ça pour vous embêter, le glaucome n’est pas loin du centre de votre œil gauche », me dit-il en me montrant l’image résultant de mon examen de champ visuel.
Pendant que je paie cinquante euros à la secrétaire, il sort de sa salle de consultation et va mettre le désordre chez ses deux orthoptistes.
-Personne n’a une règle ? J’ai besoin d’une règle. J’ai un truc à mesurer.
-Quel truc ? lui demande la secrétaire.
-Devine !
-Oh lui ! Comment il est ! commente-t-elle.
Rentrant avec le bus Effe Sept, je me dis que cette fois le boss m’est apparu plutôt sympathique.

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Le matin de ce mardi, passage au Rêve de l’Escalier où, en prévision de sa fermeture à la fin du mois, tous les livres sont désormais à un euro. Après exploration du champ littéraire, j’en repars avec Les Derniers Puritains (Pionniers d’Amérique) lettres de Théodore Bost et Sophie Bonjour (Hachette), L’Infréquentable Jules (Jules Grandjouan) de Philippe Hervouët (Siloé), Ce cher Stendhal… d’André Billy (Flammarion), Mémoires, Procès et Correspondance de Louis Rossel (Jean-Jacques Pauvert), Ce voyage nous l’appelions amour correspondance de Sibilla Aleramo et Dino Campana (Anatolia/Editions de Rocher), Deux mille ans de Secrets d’alcôve de Claude Pasteur (Zulma), Nous n’avons pas peur des ruines (Les Situationnistes et notre temps) de Sergio Ghirardi (L’insomniaque), le numéro d’Europe consacré à Ghérasim Luca, Correspondance de Gabrielle Vulliez avec André Gide et Paul Claudel (Centre d’Etudes Gidiennes de l’Université de Lyon), Lettres à Georges Londeix de Dominique de Roux (Editions du Rocher), Vie et mort de Max Jacob de Pierre Andreu (La Table Ronde) et les deux tomes de Fragments du Journal intime d’Amiel (Librairie Fischbacher), treize euros pour le tout, non remboursés par la Sécurité Sociale, bien que bons médicaments pour ce que j’ai.