Colmar (trente-six) : dernière

26 juin 2025


Assis sur le muret de la boutique bio à côté de la Boulangerie Eric Colle, tandis que je mange mon pain au chocolat et bois mon café long, j’observe les habituels clients du petit matin : des hommes seuls, venus en voiture, habillés de façon négligée, peut-être pas lavés. Ils repartent avec leur baguette et leur tristesse. Dans le ciel, les deux montgolfières volent plus haut que d’habitude. La journée va être très chaude.
Je vais attendre le bus F de sept heures trois. Passe un adepte de la marche sportive. De sa boîte à musique sort Mon enfance de Jacques Brel Et la guerre arriva. Bizarre de se donner ça comme source d’énergie. Les cigognes du Bar du Marché en claquent du bec.
C’est mon dernier tour de ville à Colmar. Pas de matinaux pour me gêner ce mercredi, mais les poubelles sont de sortie et le soleil aussi évidemment. Photographier un bâtiment moitié à l’ombre moitié au soleil donne un résultat décevant.
Je ne rate pas la Maison des Têtes au sommet de laquelle est la statue d’un tonnelier due à Bartholdi (c’est aujourd’hui un Hôtel Relais & Châteaux cinq étoiles avec Restaurant Eric Girardin, un menu du jour entrée plat dessert au prix raisonnable de vingt-neuf euros), ni l’Ancienne Douane ou Koïfhus et sa toiture bourguignonne avec derrière la Fontaine Schwendi et sa statue due à Bartholdi, ni les « ici est né » « ici a vécu » Martin Schongauer et Jean Rapp.
Quand sonne huit heures à la Collégiale, je m’installe à la terrasse du Jupiter Café où je fais le point à l’aide de mon vieux Guide du Routard. Je n’ai pas tout vu de Colmar mais il fait déjà trop chaud pour que je poursuive ma visite. Je me contente d’entrer dans la Collégiale en grès jaune de Rouffach, « intérieur assez sobre et plutôt sombre », comme dit le Routard pour qui les rues qui l’entourent sont « agréables, fraîches et vivantes ». Fraîches ?
Ensuite, seconde terrasse de la matinée, une dernière fois au Café Rapp sur la place Rapp partiellement entourée de barrières. « Je crois qu’ils préparent le 14 juillet », dit la serveuse à une cliente. « Si tôt ? » « Oui, si tôt. »  Encore un témoignage de la lenteur des gens de l’Est. Un quatuor composé de deux vieux couples me voisine. Les deux hommes prennent un café, les femmes rien ça ira comme ça. L’une est en communication avec sa petite-fille qui doit avoir dans les douze treize ans, si j’en juge par l’image. « C’est sur Ouate Sape que tu es là ? » « Nous on est à Colmar, tu regardes sur ton portable, c’est très joli » et elle épelle Colmar. Je reprends Balzac, Lettres à Madame Hanska Les billets de mille francs s’envolent comme des hirondelles. J’arrive au cahier photo du milieu du livre quand je cesse de lire. J’espère le reprendre en septembre, je ne sais où.
A midi, je retrouve la même table que l’autre jour, réservée cette fois via le réseau social Effe Bé, à la winstub Au Cygne, dans le jardin, à l’ombre. C’est la fille de la maison qui doit avoir dans les treize quatorze ans qui prend ma commande (nous sommes mercredi) : tomates farcies à la niçoise, assiette de viande froide (poulet, porc, veau) pommes grenailles et crudités, mousse glacée passion et un quart d’edelzwicker.
Derrière moi, une fille fête la fin de l’année scolaire avec quelqu’un de sa famille. Sa grand-mère a Alzheimer, sa mère qui a quarante et un an est prise en charge par les services sociaux, son frère est dans un foyer et son oncle, pas très net non plus. « Je suis passé entre les mailles du filet, si j’avais grandi dans cette famille, je ne sais pas ce que je serais devenue. » Elle vient de terminer ses études d’éducatrice.
A ma gauche, deux anciens chefs de chantier qui ont bossé là-haut, aux Trois Epis (où je n’ai pu aller faute d’horaire adapté du car Fluo), à la Mutuelle Générale de l’Education Nationale. « Oh la la, ça y allait ! » Ils draguaient toutes les profs déprimées. D’ailleurs, elles n’étaient pas déprimées. Elles venaient passer des vacances. « Ah la la, ce qu’on a pu faire ! »
Je rentre sous un soleil implacable (comme on dit). De toutes les journées les plus chaudes de la semaine, celle-là est la plus chaude.
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Couples de Japonais : c’est toujours la dame qui porte une ombrelle, l’homme se contente d’un chapeau de paille, ou de rien.
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Dans le passage souterrain de la voie ferrée, un tout nouveau graffiti : « Tout travail m’irrite sa mère ».
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Balzac à Madame Hanska : Vous ne savez pas, car je ne crois pas vous l’avoir dit, que j’ai dit à ma famille, que je ne voulais recevoir personne, pas même eux, rue Fortunée, c’est accepté, je suis très heureux de ce résultat.