Concert Bernstein Barber Copland Crumb Dvořák à l’Opéra de Rouen

15 janvier 2018


Je suis de retour à l’Opéra de Rouen ce dimanche après-midi pour un concert de musique de chambre américaine. Tandis que je me chauffe au soleil contre mon pilier préféré, des sexagénaires parlent cinéma :
-Vas-y, dis-nous le speech, comme ils disent maintenant, dit l’une à une autre.
-Le pitch, pas le speech, corrige une troisième.
Quand approchent seize heures je suis étonné de voir une telle affluence pour ce premier concert de l’année, pas une place de libre en orchestre et en corbeille, le deuxième balcon partiellement occupé.
Pour ma part, j’ai une bonne place au premier rang de corbeille avec vue sur le piano près de deux dames qui parlent d’un homme à la retraite. Ne pouvant vivre sans travailler, il s’est inscrit via Internet pour vendre des maisons. « Il paie deux cents euros par mois pour ça et il n’en a vendu qu’une en un an. Les maisons dans l’Orne, ça ne se vend pas. » Au bout de la rangée est un de ces malheureux dont l’abonnement allait de janvier à janvier. L’en voici privé par la volonté du nouveau Directeur, Loïc Lachenal. « On nous fait une fleur, on a droit à un demi-tarif sur les spectacles du reste de la saison. »
C’est d’abord la Sonate pour clarinette et piano de Leonard Bernstein pour laquelle entrent en scène Christian Erbslöh et Naoko Yoshimura. « Elle est mignonne », déclare un homme derrière moi, qui n’est pas informé qu’on ne dit plus ça. C’est surtout une très bonne musicienne et le duo est applaudi comme il le mérite.
Suit le bien connu Adagio pour quatuor à cordes de Samuel Barber « qui fut joué aussi bien aux obsèques du Président Roosevelt et de bien des têtes couronnées qu’en hommage aux victimes de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo », indique le livret programme. Au moment précis où il s’achève, un téléphone sonne.
Le Sextuor pour clarinette, piano et cordes d’Aaron Copland termine cette première partie.
 A l’entracte, je demande à l’homme au chapeau s’il sera présent à la fin du mois pour le Fantasio d’Offenbach, un compositeur qui le rebute. « Tu le supportes toi ? », me demande-t il. « Plus que ça, j’aime Offenbach. », lui réponds-je. « C’est ton côté pervers. », conclut-il.
L’obscurité revenue dans la salle, une femme consulte le programme à l’aide de cette lampe de poche qu’est son smartphone. Cela ne plaît pas à une autre qui lui intime à voix forte l'ordre de l’éteindre. Un léger brouhaha de voisinage condamne cette exigence.
La Sonate pour violoncelle seul de George Crumb ramène le calme. Il est rare de voir et entendre un(e) musicien(ne) en solo sur scène (hormis les pianistes). Jacques Perez a donc toute l’attention de la salle pour lui. Il sort de l’épreuve sous des applaudissements copieux.
La femme au smartphone récidive. La mécontente aussi. « Il faut regarder le programme à l’entracte », claironne-t-elle. La première répond vertement à la seconde. Quelques autres l’applaudissent. Un ou deux allument leur propre téléphone. « C’est de la provocation », se plaint la seconde. J’ai rarement vu la salle autant nerveuse.
Le Quatuor à cordes numéro douze d’Antonin Dvořák, composé en juin mil huit cent quatre-vingt-treize à Spillville dans l’Iowa, ramène le calme. Sa superbe envolée finale suscite bien des applaudissements.
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Bien que je ne proteste pas à voix haute, je suis dans la camp de ceux qui préfèreraient que les smartphones ne s’allument pas dans le noir. Comme beaucoup de vieux, j’ai les yeux heurtés par les lumières vives. Ma visite annuelle chez l’ophtalmologue me dira demain matin où j’en suis.