Confiné (deux) treize

12 novembre 2020


Le onze onze à onze heures, au moment où je sors faire ma promenade dérogatoire quotidienne, les cloches de la Cathédrale sonnent à la volée. J’ai une pensée pour Grand-Père Jules en ce moment précis du jour de commémoration, un jour férié qui passe inaperçu à certain(e)s. Ma boulangère, lorsque hier je lui ai demandé si ce serait ouvert demain, m’a regardé comme si ma question n’avait pas de sens.
Rentré, je poursuis le tapotage de mes notes de relecture, en Bretagne cet automne, de la Correspondance de Paul Léautaud. Le vendredi vingt-quatre novembre mil neuf cent trente-neuf, Léautaud écrit à son ancienne amante Anne Cayssac, dite Le Fléau. Il fait le point sur sa situation matérielle à l’approche de sa soixante-neuvième année (un âge qui est le mien pour encore quelques mois), ce qui l’amène à un délicieux souvenir :
Moi, un homme riche ! Un homme qui depuis six ans est obligé de se passer de bonne, qui fait ses repas lui-même, qui déjeune de légumes achetés tout cuits qui le dégoûtent, qui dîne de pain et de fromage et d’un fruit, qui lave lui-même son linge de corps, qui sort et rentre lui-même sa poubelle, qui tient lui-même à peu près propre un pavillon d’un rez-de-chaussée et d’un premier, qui fait lui-même, le matin avant de partir, ses lampes pour le soir, qui en a été réduit récemment à prendre sur le métro un abonnement à la semaine, comme un vulgaire employé… (…)
Et cet homme est un écrivain, qui va entrer prochainement dans sa soixante-neuvième année, un chiffre qui nous a été souvent bien agréable, à vous et à moi, vous devez vous le rappeler.
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Le onze onze est le jour anniversaire de la naissance de ce Journal. Quatorze ans que ça dure.