Confiné (douze)

29 mars 2020


Retour chez U Express ce samedi peu après l’ouverture. Trois autres clients m’ont précédé, dont un de ma connaissance mais que je ne reconnais pas d’emblée car il est masqué. Assurément, certains se débrouillent mieux que d’autres. Nous échangeons quelques mots de loin :
-Alors vous vous mettez à la cuisine ? me demande-t-il.
-Oh non !
-Moi non plus.
Ce dialogue est le premier que j’ai avec un être humain hors de la copropriété depuis le début du confinement.
Mon panier est vite rempli. Au moment de payer, je m’inquiète un peu du constant reniflement du caissier. Heureusement qu’il porte son masque. Pour ma part, je ne tousse plus guère, ou pas davantage.
Comme chaque jour, le soleil n’ayant jamais été caché par des nuages depuis le début de la semaine, je m’installe sur le banc du jardin dès qu’il l’atteint et y poursuis la lecture du Journal intégral de Julien Green, lequel la trentaine venue commence à s’assagir, hélas.
A onze heures trente, Patrice Latour est dans la tour Saint-Romain de la Cathédrale. Son concert de carillon est le premier que je vais pouvoir entendre du jardin cette année. Il commence par Le Temps des cerises puis enchaîne avec La Complainte de Mandrin. Je ne connais pas les airs suivants. A la fin de chaque morceau, je crois entendre des applaudissements, mais d’où viendraient-ils ?
J’ai presque trop chaud sur ce banc où je bronze deux heures pas jour. On va m’accuser d’avoir passé ce confinement en vacances dans le Sud.
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Encore dans la réécoute de mes cédés de Barbara ce samedi. D’abord la seconde partie de son concert à l’Olympia en février soixante-neuf puis L’Aigle Noir (période soixante-dix à soixante-douze) et Marienbad (période soixante-douze soixante-treize). C’est à ce moment que les choses commencent à se gâter, qu’elle se met à chanter avec emphase et grands effets de voix, devenant au fil du temps la caricature d’elle-même. Je renonce à la suite où l’on trouve des chansons aussi catastrophiques que celle dégoulinante de pathos sur le sida ou son hymne au Mythe Errant.
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Toutes ces visites virtuelles de Musées sur Internet, tous ces concerts et tous ces films gratuits mis en ligne, cela a un côté gavage des oies.