Confiné (quarante)

26 avril 2020


C’est le silence qui règne désormais chez U Express. Chaque employé(e), masqué(e) et plexiglasé(e), est occupé(e) à remplir les rayons en ne disant mot. Oubliées les bonnes blagues et les petites embrouilles d’avant. Côté clientèle, ce samedi matin, je n’ai qu’une jeune femme à éviter en remplissant mon panier, une opération encore une fois rondement menée.
A onze heures trente, alors que je lis Pepys sur le banc et sous un ciel provisoirement couvert, le carillon de la Cathédrale se rappelle à mon bon souvenir avec d’entrée de jeu, comme la semaine dernière, Les Mots bleus de Christophe puis des airs qui me sont familiers sans que je sache les reconnaître. Cet évènement hebdomadaire est le seul qui subsiste. Il empêche que je puisse dire : il n’y a plus rien.
J’en suis précisément à Christophe dans ma réécoute de cédés, n’ayant pas avancé assez vite pour que ce soit de son vivant. D’abord une réédition de ses chansons des années soixante où je suis heureux de retrouver l’antimilitariste Cette vie-là Adieu monde terrible / Adieu tu ne me referas plus / Le coup du petit soldat / Qui doit marcher au pas, puis une compilation à deux disques intitulée Succès fous.
Je me souviens avoir acheté cette dernière en solde au Printemps. C’était avant que je n’habite à Rouen. Depuis que j’y vis, je n’entre plus dans ce magasin. Autrefois, j’y achetais mes chaussettes, des Burlington.
J’ai du mal à le croire mais il fut une époque où je ne me procurais pas mes paires de chaussettes, toujours noires, par paquets de dix chez Céhéha.
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Le soleil est de retour quand, protégé par l’ombre du bâtiment  je poursuis ma prise de notes de lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green, dont celle-ci datée du lundi vingt et un juin mil neuf cent trente-sept :
Toujours pensé que les maladies, petites et grandes, et les accidents qui viennent déranger notre vie, montrent clairement la volonté qu’a la nature de se débarrasser de nous ; elle essaie par tous les moyens de nous affaiblir et de nous user.
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Samuel Pepys, le trente août mil six cent soixante-cinq, alors que la peste fait des milliers de victimes chaque semaine à Londres et alentour :
Seigneur ! dans la rue, sur les visages et dans les conversations, il n’est rien d’autre que la mort, et fort peu de gens s’aventurent au-dehors, si bien que la ville est pareille à un lieu désert et abandonné.