Confiné (trente-sept)

23 avril 2020


Ce mercredi est jour de courses à la va-vite chez U Express où je chope ce dont j’ai besoin. Pas ce dont j’ai envie. En ce moment, dans le domaine alimentaire, je n’ai envie de rien. Cela sans me soucier du prix, car cette crise m’a délivré de ma maladie de toujours : choisir le moins cher (une séquelle de mon enfance pauvre). Depuis un mois je n’ai rien acheté d’autre que de la nourriture.
Autant par obligation que je me suis donnée que par envie, je poursuis la réécoute de mes cédés francophones par ordre alphabétique. J’en suis à Jean-Michel Caradec, deux compilations qui m’emmènent de façon cruelle dans cette Bretagne où j’avais prévu d’aller après ma visite chez l’ophtalmo. Je retrouve La Colline aux coralines que je faisais entendre à mes élèves de maternelle et nombre d’autres chanson délectables, dont C’est râpé : Ton tee-shirt est un peu froissé / Sur le bout de tes seins dressés / A tes parents tu voulais tout cacher / C'est râpé. Jean Michel Caradec est mort à l’âge de trente-quatre ans dans des circonstances qui ont fait jaser. Sa voiture, où se trouvait une autre femme que la sienne, s’est encastrée à l’arrière d’un camion sur l’autoroute. C’était peu après la sortie de son album Dernier avis où l’on trouve une chanson intitulée Passeport pour la mort.
Dès avant que le soleil ne le touche, je vais poursuivre sur le banc du jardin ma lecture du Journal de Samuel Pepys dont j’ai presque atteint la fin du premier tome. Le deux octobre mil six cent soixante-quatre était Jour du Seigneur. Pepys le célébrait à sa façon : Ce soir Mrs Lane (aujourd’hui Martin) et son mari vinrent solliciter mon aide pour lui trouver une place, à lui ; il paraît que ce pauvre Mr Daniel, du bureau des subsistances, est mort ; c’est une trop bonne place pour que ce blanc-bec y succède – mais je lui offris les plus belles paroles que je pus et après avoir bu un verre de vin les renvoyai, mais avec beaucoup de bonté.
Il me faut attendre quinze heures désormais pour m’installer à l’ombre avec mon ordinateur afin de continuer à noter ce que j’ai retenu de ma lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green. Le dimanche n était pas pour lui « Jour du Seigneur », du moins à l’époque de sa jeunesse, mais un jour de loisir, ainsi le neuf septembre mil neuf cent trente-quatre : En revenant, nous nous sommes arrêtés à Bagneux, pour voir le dolmen qu’on dit le plus grand d’Europe. C’est en tout cas l’opinion de la vieille dame préposée à la garde de ce monument. Elle est aussi fière de son dolmen que si elle l’avait mis au monde, et lui, comme un bon fils, la nourrit de petits pourboires.
Avant de rentrer, j’ouvre ma boîte à lettres et y trouve une missive qui me réjouit. Postée à Asnières le neuf avril, elle a mis deux semaines pour parcourir cent trente kilomètres.
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« Il faut bâtir un déconfinement régional », déclare Hervé Morin, notre Duc de Normandie. Ce garçon me surprendra toujours.