Confiné (trente)

16 avril 2020


Ce n’est pas sans appréhension que je me prépare à aller à la Grande Pharmacies du Centre ce mercredi matin afin de renouveler les gouttes qui permettent à mes yeux de subir moins de tension. Une pharmacie, c’est un lieu dangereux puisque fréquenté par des malades, dont ceux du coronavirus.
Pour être le premier client je m’y rends dès huit heures cinquante. De quoi profiter pendant dix minutes de la beauté de la Cathédrale qui lui fait face. Nul ne me rejoint et à l’ouverture je suis seul et rassuré. Mon ordonnance a épuisé ses six renouvellements, mais de manière dérogatoire la pharmacienne me délivre un nouveau flacon du médicament qui donne l’illusion d’être soigné. Aurai-je le temps de devenir aveugle avant d’être mort ? La réponse n’est plus la même désormais.
Si le jardin où je suis cloîtré pour lire Pepys a l’avantage de ne pas être trop sujet au vent frais, il est en revanche soumis aux aléas de la vie en codétention.
-Ça vous gêne pas la musique pour lire ? me demande le voisin du troisième quand il passe devant moi.
-Faut s’accommoder de tout, lui réponds je.
-Oui mais y a aucun respect.
Encore un qui voudrait que ce soit moi qui me mêle de ce problème à sa place. Il n’en est pas question. Ayant eu pour habitude, avant-guerre, de lire dans des cafés à musique forte, je suis rôdé. Par ailleurs, j’ai décidé de ne plus m’occuper de ce qui se passe dans la copropriété.
En ayant terminé avec Brassens, c’est en écoutant Jacques Brel, dont je possède un coffret de dix cédés, que je poursuis le tapotage des notes de lecture du premier tome du Journal intégral de Julien Green. Les débuts de Brel furent laborieux, que de niaiseries religieuses dans ses premières chansons, mais on y trouve quelques pépites, dont les antireligieuses Grand Jacques, Le Diable ou La Dame patronnesse.
Le mardi vingt-deux décembre mil neuf cent trente et un, Julien Green écoutait lui aussi un disque : Après déjeuner, audition d’un disque de Joyce écouté dans un silence religieux, ce qui me fait sourire, car l’érotisme de Joyce est d’une souveraine impudeur, mais comme c’est en anglais, cela passe très bien. Louis Gillet, texte en main (Anna Livia Plurabelle), commente les saletés à mi-voix, assis tout près d’Anne qui est fort gênée. J’entends le vieux satyre qui murmure : «  Oui, virginals, c'est-à-dire les appâts, la poitrine, les seins d’une fillette qui n’est pas encore mûre. » J’ai l’impression qu’il trouve Anne à son goût. (Anne est la sœur de Julien qui a pour amant Robert, tous trois vivant dans le même appartement).
                                                                     *
Hallucinant de voir à la télé ce vieux médecin, Président du Conseil Scientifique, déclarer qu’il faudra que les vieux soient confinés jusqu’à la fin de l’année. Qu’il commence par donner l’exemple en restant à la maison.
                                                                     *
Autre vieux médecin pas à la maison, Professeur Raoult, le Mage de Marseille. Il déclare que par chez lui la pandémie disparaît avec l’arrivée du printemps. A son début, il déclarait « Ce virus n'est pas si méchant, ce n'est pas un meurtrier aveugle. »
                                                                     *
Vouloir maintenir les vieux en détention, c’est avouer que les gestes barrières (comme ils disent) ne suffisent pas, et donc que tout le monde est en danger et devrait rester confiné.
                                                                     *
Discriminer les vieux, c’est une mesure non autorisée par la loi. J’espère qu’il y aura des associations pour mettre cette affaire devant la Justice.