Confiné (vingt-quatre)

10 avril 2020


Ce jeudi matin je m’autorise la plus longue sortie réglementaire que j’aie jamais faite depuis le début de la confinerie, une sorte de visite touristique de la ville sans la moindre concurrence : Archevêché, Cathédrale, Gros Horloge, Vieux Marché, Eglise de la Jeanne, Rêve de l’Escalier, Sainte-Croix des Pelletiers, square Verdrel, Musée des Beaux-Arts, Musée de la Ferronnerie, Hôtel de Ville, Abbatiale Saint-Ouen, ancienne abbaye Saint-Amand, le tout en un peu plus d’une demi-heure.
De retour dans ma ruelle, j’y trouve devant la porte cochère de la copropriété un homme occupé à laver à grande eau les poubelles qui depuis trois semaines étaient sorties et rentrées par l’un des résidents. Poliment, je lui demande de se reculer un peu afin que je passe à une distance raisonnable de sa personne (la venelle ayant à cet endroit moins d’un mètre de largeur) puis je lui souhaite bon courage et entre chez moi par ma porte personnelle. Je n’emploie plus que celle-ci et pour ce qui est des poubelles collectives ne les utilise plus, préférant aller déposer mon sac en plastique noir directement dans la rue Saint-Romain.
C’est une journée à passer son temps dehors et je me félicite d’avoir, il y a vingt ans, choisi un logement avec jardin collectif. Certains de mes codétenus n’y mettent le pied que pour le traverser quand ils sortent. D’autres, pour y faire quelque chose en rapport avec la végétation (plantation, tonte, arrosage). Je suis le seul à y être aussi souvent et aussi longtemps, mais ce jour, commençant à suer à grosses gouttes pour cause de forte chaleur, je suis contraint de quitter le banc vers treize heures trente. Ce n’est pas le moment de mourir d’une insolation. Avant de refermer le Journal de Samuel Pepys, je retiens ceci, daté du seize août mil six cent soixante et un :
Au bureau toute la matinée, quoique peu de choses à faire, car tous nos commis sont partis aux funérailles de Thomas Whitton, l’un des commis du contrôleur de la Marine, jeune homme fort intelligent et apparemment aussi assuré de vivre qu’aucun autre commis de bureau. Mais l’heure est à la maladie dans la Cité, comme partout en province (une espèce de fièvre), comme on n’en a quasiment jamais connue, sauf en période d’épidémie.
En sont morts, entres autres, le fameux Thomas Fuller – et le Dr Nicholas, doyen de Saint-Paul ; et milord le général Monck est fort gravement malade.
Une note infrapaginale indique que selon les chiffres officiels, cette fièvre fit cette année-là à Londres trois mille quatre cent quatre-vingt-dix morts.
                                                                            *
Me voici à Angelo Branduardi, dans la réécoute de mes cédés francophones par ordre alphabétique, avec notamment Toujours, qui regroupe ses meilleures titres dont A la foire de l’Est que je faisais écouter à mes élèves de maternelle et La demoiselle qui me rappelle quand je l’écoutais en voiture sur la route des vacances avec l’une assise à ma droite.
                                                                            *
C'est la demoiselle / Marchant sur le ruisseau / Qui t'a rendu bien malade / Elle t'a pris ton ombre / Ton rire, ta joie / Et ne reviendra pas
Dans le grand silence / Des souvenirs perdus / Tu trembles et tu t'agites / Tu veux ton enfance / Ton ombre, ta voix / Elles ne reviendront pas