De la difficulté de rentrer à Rouen sans grève de cheminots

24 juin 2016


Cette chaleur soudaine qui fait se plaindre même ceux venus d’outre Méditerranée débouche sur une averse à l’heure où je rejoins la gare Saint-Lazare. C’est le coutumier bazar des jours sans grève. Les annonces s’enchaînent. Il n’est question que de trains qui seront affichés tardivement (province) ou sont supprimés (banlieue).
Un mail de la Senecefe m’ayant averti que mon train de dix-huit heures vingt-cinq serait supprimé pour cause de travaux (comment un seul train peut-il être supprimé pour cause de travaux ?), je vais au guichet m’informer de la validité de mon billet Prem’s. Puis-je prendre sans risque d’amende le dix-sept heures cinquante ? Oui, me dit-on et même m’écrit-on sur le billet.
C’est bien, mais ce dix-sept heures cinquante est soudain annoncé encore au garage. Comme le dix-sept heures trente est arrivé tardivement et n’est pas encore parti, j’y grimpe et d’un coup de stylo modifie l’heure inscrite par le guichetier sur mon billet. Nous partons avec dix minutes de retard. Le chef de bord nous dit avoir téléphoné au conducteur. Celui-ci va faire tout son possible pour rattraper ce retard. Cela fait sourire les habitués.
Bientôt, notre train roule au ralenti. Des trains sont partis avant nous et nous empêchent d’aller plus vite, nous explique le chef de bord. A Vernon, le  retard est de vingt-cinq minutes. Aucun contrôleur ne passe. Après Val-de-Reuil, le chef de bord reprend la parole : « Rassurez-vous ce n’est pas une mauvaise nouvelle, la correspondance avec Dieppe en gare de Rouen est maintenue ».
Ces annonces ne me font ni chaud ni froid (comme on dit). Je les entends comme un « Vous pouvez continuer à lire tranquillement ». Mon livre est l’un de ceux achetés un euro chez Book-Off ce mercredi, Motel blues de Bill Bryson (Petite Bibliothèque Payot) à la deuxième phrase réjouissante : Quand on vit à Des Moines, ou bien on accepte la situation sans discuter, on se met en ménage avec une fille du coin nommée Bobbi, on se trouve du travail à l’usine Firestone et on vit là jusqu’à la fin des temps ; ou bien on passe son adolescence à se plaindre à longueur de journée que c’est un trou et qu’on n’a qu’une envie, en partir, et puis on se met en ménage avec une fille du coin nommée Bobbi, on se trouve du travail à l’usine Firestone et on vit là jusqu’à la fin des temps.
Notre train a vingt et une minutes de retard à l’approche de Rouen mais il arrive quand même avant l’heure où devait arriver celui que j’aurais dû prendre s’il n’avait été supprimé pour cause de prétendus travaux.
Cette suppression m’arrange car elle me permet, après avoir posé mon sac à la maison, d’aller plus tôt que prévu à la fête d’au revoir des bouquinistes des Mondes Magiques, rue Beauvoisine.
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A l’aller, c’était un autre type de chef de bord, qui nous faisait bénéficier des ressources de la langue française lors de ses messages : « en somme », « dans ce cas de figure ».
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Première vraie journée d’été, dans ce cas de figure les filles sortent leurs tenues légères et montrent leurs jolies gambettes avec la complicité du soleil qui rend les tissus clairs transparents, un plaisir pour les yeux en somme.