Déjeuner avec Maria au Guillaume

14 mars 2018


-Je viens à Rouen en coup de vent, m’écrit Maria, veux-tu que l’on déjeune ensemble ?
J’accepte, d’autant que je lui dois un repas. Elle me fixe rendez-vous à douze heures quinze au Rêve de l’Escalier bien que la bouquinerie soit fermée le lundi. J’y suis trop tôt forcément et m’abrite comme je peux de la pluie et du vent jusqu’à ce qu’elle arrive en courant vers midi et demi. La faute à une imprimante défectueuse, s’excuse-t-elle.
Où déjeuner dans le coin alors que presque tous les restaurants sont fermés ? Nous entrons dans la brasserie la plus proche, Le Guillaume, rue du Conquérant, où ça ne va pas être terrible, lui dis-je.
Le restaurateur a tôt fait de l’énerver. Je le trouve un peu mielleux mais pas de quoi avoir envie d’aller ailleurs, comme elle serait presque prête à le faire. A peine commençons-nous à étudier la carte que son téléphone sonne. C’est mon deuxième patron, me dit-elle. Elle sort répondre sous l’auvent.
La formule du jour ne lui convient pas parce qu’il y a du veau et qu’elle en a mangé il y a deux jours. Néanmoins, elle choisit un autre plat avec du veau, pané. Est-ce que les frites sont maison ? s’enquiert-elle. Elles sont fraîches mais elles viennent d’ailleurs. Je commande un demi pichet de côtes-du-rhône dont elle ne pourra boire qu’un verre car à quatorze heures elle a rendez-vous à l’Hôtel de Région pour la conférence de presse des éditeurs normands présents à Livre Paris, ce qu’on appelait le Salon du Livre
Elle me parle de ses trois patrons, tous dans le domaine culturel, et ne mange pratiquement rien. Elle n’a pas faim, ayant pris une part de pizza à dix heures. De toute façon, ajoute-t-elle, je suis perturbée en ce moment. C’est la crise de la soixantaine, lui dis-je. Elle refuse mon diagnostic au prétexte qu’elle n’a pas encore cet âge.
Le restaurateur débarrasse son assiette au trois quarts pleine et la mienne vide. Quand il apporte le café, elle réclame du sucre de canne, que l’on n’a évidemment pas dans une maison de cette catégorie. Il va être l’heure que je traverse la Seine, me dit-elle. Je comprends qu’elle confond Hôtel de Région et Hôtel de la Métropole. Je la désabuse.
Après avoir cheminé sous la pluie, nous arrivons au bout de ma ruelle. Je lui indique le reste du chemin : tu prends l’église Saint Maclou par la gauche, ensuite tout droit jusqu’à la place Saint-Marc que tu traverseras en diagonale.
                                                           *
Un téléphone, un smartphone, je ne sais jamais comment appeler cette chose. Alain Damasio, écrivain de science-fiction, propose de la dénommer onoto, pour objet nomade totalitaire. Je ne pense pas que cela prenne.
                                                           *
Réouverture ce lundi, après travaux d’embellissement, de la boulangerie du Fournil du Carré d’Or. Patronne et employées portent désormais le panama, mais les baguettes tradition sont cramées. Elles ont pour nom Petite Marie. Aujourd’hui conviendrait mieux Petite Jeanne.
                                                           *
Quand je passe mardi matin rue du Pont à Dame Renaude, jolie voie pavée où l’on ne croise pas un touriste, dans le quartier de la Croix de Pierre, il y a embrouille entre les installateurs de la fibre et une dame du lieu :
-Il n’est pas question que vous installiez un câble sur ma façade, je n’ai rien signé, je suis propriétaire.
                                                          *
A l’ouvrage, rue de la Tour de Beurre, derrière la Cathédrale, ce mardi midi, elles avalent tout, les Suceuses de l’Ouest.