En lisant De ma lucarne, chroniques d’Henri Calet

23 novembre 2014


Délectable lecture que celle des chroniques qu’Henri Calet écrivit pour diverses revues parisiennes entre mil neuf cent quarante-cinq et cinquante-six, regroupées sous le titre De ma lucarne par Gallimard dans la collection « Les inédits de Doucet », où il donne libre cours à sa mélancolie narquoise.
Ainsi :
De cent façons, j’ai tâché de m’agréger aux hommes, de me joindre à la foule, mais j’étais toujours un peu à la traîne, ou bien je marchais faux, en quelque sorte. J’ai fréquenté les manifestations populaires, j’ai défilé en chantant des refrains séditieux, j’ai même levé le poing en certaines circonstances déjà bien lointaines. Il m’est advenu de recevoir quelques claques à l’occasion de réunions électorales. C’est probablement ce qu‘il est convenu d’appeler le bon temps. En somme, ça ne collait pas, comme on dit ; ou plutôt, c’est moi ne collais pas aux autres.
Je comptais sur les autres, j’attendais tout d’eux, assez vaguement d’ailleurs. Rien n’est venu. C’est bien normal.
Je donne ma clientèle irrégulière à un café tranquille, peu fréquenté, où j’ai l’avantage de pouvoir m’asseoir sur d’anciens souvenirs, d’ailleurs un peu démodés déjà.
Qu’est-ce que je faisais l’autre dimanche sur le quai de Montebello en ce début d’après-midi, parmi d’autres promeneurs désœuvrés ? Ah, ce jour est difficile à vivre !
La nécessité d’occuper un temps un peu trop lâche le mène dans les petits musées que personne ne visite, de celui de l’Assistance Publique à celui de l’Asperge à Argenteuil. De même écume-t-il les réunions électorales et d’anciens combattants. Toute occasion lui est bonne pour faire le badaud en collectivité, se fondre dans un « nous » qu’il considère avec une ironie un brin désespérée :
-La chasse aux autographes est ouverte, redisait le haut-parleur.
En effet, nous allions d’un stand à l’autre, notre carnet à la main. Nous marchions en rond dans la boue, le regard tourné vers le haut, à la recherche d’une étoile de l’un et l’autre sexe, nous nous bousculions un peu, nous ne nous accordions mutuellement aucun intérêt, nous n’existions plus. C’était fort agréable.
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La tour Eiffel vue par Calet de sa lucarne :
Par-dessus tout, la tour Eiffel, cette grande perche amicale, maigre, rousse, vêtue de dentelle de Paris. Ou une énorme aiguille à tricoter les nuées ? Ou un simple presse-papier souvenir ? A son sommet, un drapeau tricolore qui atteste la présence de la France dans le ciel, à tout hasard.
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Autre lecture, celle de La cinquantaine à Saint-Quentin de Jacques Bens (Seghers), récit écrit suite à un Festival de la Nouvelle pour lequel l’oulipien est hébergé à l’hôtel. Il s’y voit nu de pied en cap, ce qui ne lui arrive jamais dans la petite salle de bains de sa maison du Hurepoix :
Ce que j’y découvris m’épouvanta : cette peau pendante, ces chairs flasques, ces rides livides, ces mamelles pâteuses, ce pectoral avachi, ce nombril abattu, ce couturier pesant, cette bistouquette chagrine, ces pelotes flétries, c’était moi ?
Il est temps pour lui, constate-t-il, de faire une croix sur les dames et les motocyclettes :
Encore heureux que reste à notre portée l’essentiel de ce que nous continuons d’aimer : les livres, les arbres, la musique, certaines connivences intellectuelles, le vin, les truffes et le silence.
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Trouvé chez Henri Calet : le mot bonisseur, synonyme de bonimenteur. Et chez Françoise d’Eaubonne : un zoïle qui, apprends-je, est un critique envieux et méchant.