En lisant Des voix sous les pierres (Les Epitaphes de Spoon River) d’Edgar Lee Masters

25 octobre 2018


Publié une première fois chez Champ Libre dans une traduction de Michel Pétris et Kenneth White, j’ai lu Des voix sous les pierres (Les Epitaphes de Spoon River) d’Edgar Lee Masters dans l’édition bilingue qu’en ont faite en l’an deux mille la Librairie Elisabeth Brunet et Phébus (traduction de Patrick Reumaux, illustrations de Philippe Dumas).
Edgar Lee Masters est né en mil huit cent soixante-huit et fut élevé dans l’Ouest à l’époque des dernières guerres indiennes. Grand lecteur d’Ovide et d’Anacréon, il publia Des voix sous les pierres en mil neuf cent quinze. Dans ce recueil de poèmes se racontent les deux cent quarante-quatre occupants des tombes du cimetière de Spoon River. Le succès de ce livre le conduisit à abandonner son métier d’avocat. Il s’installa en mil neuf cent vingt au Chelsea Hotel avec Ellen Coyne, de trente ans moins âgée que lui, et passa tout son temps à écrire des textes édités sans succès. Quand il tomba malade en mil neuf cent quarante-deux, sa femme l’installa dans une maison de retraite à Melrose Park près de l’université où elle enseignait. Il mourut en mil neuf cent cinquante.
A titre d’exemple, trois des deux cent quarante-quatre :
Margaret Fuller Slack
J’aurais pu être aussi célèbre que George Eliot
Mais le sort en a décidé autrement.
Regardez ma photo prise par Penniwit :
Le menton dans la main, le regard pénétrant de ces yeux gris qui voyaient loin.
Mais il y avait le vieux, vieux problème :
Rester célibataire, se marier, s’envoyer en l’air ?
Alors John Slack, le riche pharmacien, m’a fait la cour,
Jurant que j’aurais tout loisir d’écrire mon roman,
Et je l’ai épousé ; mes huit enfants
Ne m’ont pas laissé le temps d’écrire.
De toute façon, tout s’est terminé pour moi
Le jour où je me suis percé la main d’une aiguille
En lavant les couches du bébé : ce jour où le tétanos
M’a fait serrer les dents –ironie de la mort !
Ames ambitieuses, écoutez-moi,
Le sexe est la malédiction de la vie. D.   Blood Si vous, au village, vous pensez que j’ai fait du bon travail
En fermant les troquets, en interdisant les tripots,
En traînant la vieille Daisy Fraser devant le juge Arnett
Dans mes croisades pour laver les gens du péché,
Pourquoi laissez-vous Dora, la fille de la modiste,
Et le fils de Benjamin Panter, cette canaille,
Faire la nuit de ma tombe leur couche sacrilège ?
Mabel Osborne
Tes fleurs rouges au milieu des feuilles vertes
Se fanent, beau géranium,
Mais tu ne réclames pas d’eau.
Tu ne sais pas parler. Tu n’en as pas besoin,
Tout le monde sait que tu meurs de soif,
Mais personne ne t’arrose.
Tous passent leur chemin, disant :
« Le géranium a besoin d’eau. »
Et moi qui avais du bonheur à revendre
Et qui désirais tant partager ton bonheur,
Moi qui t’aimais, Spoon River, et qui me languissais de ton amour,
Je me suis fanée sous tes yeux, Spoon River,
Mourant, mourant de soif,
Mais la pudeur d’âme m’empêchait de te réclamer de l’amour,
A toi qui savais et qui m’as vue mourir devant toi :
Comme ce géranium que quelqu'un a planté sur moi
Et laissé crever.
                                                                     *
D’autres traductions ont paru depuis : par le Général Instin chez Othello en deux mille seize sous le titre Spoon River : Catalogue des chansons de la rivière et par Gaëlle Merle chez Allia en deux mille seize sous le titre Spoon River.