En lisant La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth

30 mai 2018


Parmi mes lectures de deux mille dix-huit : La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth, publié au Seuil, le recueil de vingt-six textes parus entre juillet mil neuf cent trente-trois et mai mil neuf cent mai trente-neuf dans des journaux destinés aux émigrés germanophones vivant en France.
Joseph Roth, particulièrement lucide, s’exila à Paris dès que Hitler fut nommé chancelier du Reich. Déjà en juin mil neuf cent trente-deux, il déclarait à un ami : « Il est temps de partir. Ils brûleront nos livres et c’est nous qui serons visés. Quiconque répond au nom de Wassermann, Döblin ou Roth ne doit plus tarder. Il nous faut partir afin que seuls nos livres soient la proie des flammes. »
De cette lecture, je retiens ceci :
Le plus grand ennemi de la littérature, c’est la vie officielle : les pays, comme le Mexique, où l’on ne vit que sur les places publiques n’ont guère d’artistes ou de penseurs.
En Allemagne, quand les aveugles de pure souche se sont mis à affirmer qu’ils ne supportaient plus la vue des Juifs, leurs compagnons d’infortune, il ne manquait plus qu’un mouvement de protestation des bergers allemands, décidés à ne plus servir de guides aux aveugles juifs – à part cela, on ne pouvait plus s’attendre à rien.
Un roi qui embrasse un voleur de grand chemin sur les deux joues satisfait toujours aux lois du climat de son époque, où le bandit illustre la grandeur de la nation. Les électeurs ont toujours exactement la même grandeur et la même petitesse, la même noblesse et la même bassesse que leurs élus. Quand on assassine un officier à Vladivostok, on lynche des Noirs à Cincinnati, et des chemises noires, bleues, vertes ou grises surgissent dans tous les pays, avec ce que l’on pourrait appeler un synchronisme international…
Il faudrait être un fou perdu dans les nuages pour ne pas voir que Luther, en trahissant les paysans, les princes et les Juifs, aura préfiguré le sous-lieutenant prussien et protestant dont la politique a trahi l’Eglise et le monde entier. Sans Luther et le protestantisme, il faut croire que Hegel et Marx n’auraient pu voir le jour en Allemagne. Et le protestant se retrouve même, déguisé en païen, dans les refus « dionysiaques » de Nietzsche.
Les hommes de notre temps ont d’ailleurs un moyen, parmi tant d’autres, de se soustraire à la vérité : quand un homme ivre dit vrai, ceux qui sont aussi saouls que lui espèrent qu’il est simplement en train de délirer.
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L’exil forcé fut difficile à vivre pour Joseph Roth. Alcoolique, il mourut à Paris le vingt-sept mai mil neuf cent trente-neuf à l’âge de quarante-quatre ans.