En lisant Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson

16 août 2018


J’ai pris assez peu de notes lors de ma lecture (faite juste avant de voir et entendre l’auteur à propos d’un autre de ses livres à la librairie rouennaise L’Armitière) de Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), ouvrage dans lequel il narre sa traversée de la France en diagonale de Tende (Mercantour) à Omonville-la-Rogue (Cotentin), du vingt-quatre août au huit novembre deux mille quinze. Pour ce faire, il s’efforce de suivre ce qu’il appelle ses chemins noirs, autrefois tracés par les paysans et aujourd’hui envahis par les ronces Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.
Cette équipée doit lui permettre d’achever de se rétablir (plutôt que d’aller faire ça dans un centre de rééducation) après le long séjour qu’il a dû faire à l’hôpital : … pris de boisson, je m’étais cassé la gueule d’un toit où je faisais le pitre. J’étais tombé du rebord de la nuit, m’étais écrasé sur la terre. Il avait suffi de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne.
Le récit qu’il fait de cette marche lui est l’occasion de parler de lui-même et de la société contemporaine. 
Une formule résume son état d’esprit :
Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie.
Et cet extrait, sa vision de l’urbanisme des petites villes, qui n’est pas nouvelle mais la façon dont il en parle est plaisante :
Dans les bourgs de guide Michelin, le centre-ville était charmant, l’église restaurée et une librairie s’inaugurait parfois devant le salon de thé. Woody Allen aurait pu tourner son film habituel. Ses acteurs auraient trouvé que la province est une fête et que le débarquement avait valu la peine.
Venait le deuxième cercle : le quartier pavillonnaire. Un monsieur y tondait sa pelouse en pyjama. Il avait fini de laver sa voiture. Une affiche signalait la disparition d’une vieille dame affligée d’Alzheimer.
Le troisième cercle apparaissait, commercial. Le parking était plein, le supermarché jamais fermé, les promotions permanentes sur le jarret. Plus loin, un rond-point distribuait les points cardinaux et l’on gagnait les champs, les hangars à machines et des bois où les sangliers attendaient l’ouverture de la chasse. Tout cela prouvait une chose : avec des efforts, même le Français réussit à ordonner le monde.
A mon regret, Sylvain Tesson n’évoque pas certains aspects pratiques de sa randonnée spartiate. Si l’on sait comment il dort, le plus souvent en bivouac, parfois en chambre d‘hôtes ou à l’hôtel, il ne dit rien de ses repas, que mange-t-il, où mange-t-il, fait-il des courses, s’assoit-il à la table d’un restaurant, cela m’aurait intéressé de le savoir.
Parfois, il se fait temporairement accompagner. Par sa sœur, et par deux amis amateurs de steppes sibériennes comme lui, l’un après l’autre, puis les deux ensemble pour la fin de son trajet le long de la Manche. J’aurais aimé savoir comment il a fait pour leur donner rendez-vous à un point précis à un moment précis. Aurait-il eu avec lui l’un de ces moyens de communication modernes qu’il ne cesse de critiquer ? Sinon comment ?
Autre frustration, le peu d’anecdotes. Quand même celle-ci :
Le 24 octobre, par le pays de Laval
J’approchais de la ville et entrant dans Entrammes, je demandai un Viandox à la patronne d’un café.
-Qu’est-ce que c’est ? dit-elle.
-Un bouillon, dis-je.
-Jamais entendu. Où trouvez-vous cela ?
-Partout. A Brûlon, ils m’en ont servi un hier.
-C’est dans la Sarthe ça ! dit-elle. Cela ne m’étonne pas d’eux.
Et cette autre :
Une joggeuse opéra un demi-tour paniqué au moment où elle me vit. Je n’osais pas regarder mon reflet dans la rivière.
                                                                        *
Cité par Sylvain Tesson dans son livre, de Georges Bernanos dans Français, si vous saviez… :
Il n’y a plus beaucoup de liberté dans le monde, c’est entendu, mais il y a encore de l’espace.
                                                                         *
Enfin cette image poétique, s’agit-il d’une volonté de l’auteur ou d’une erreur de saisie (je penche pour la seconde hypothèse) :
… à la manière des Japonais qui montent sur les montagnes, un fois l’an, rejoindre un autel taoïste sous les cerisiers en pleurs.