En lisant les Lettres de Robert Musil (un)

22 août 2017


De Robert Musil, j’ai lu il y a des décennies Les Désarrois de l’élève Törless et Trois femmes suivi de Noces puis j’ai tenté de lire son énorme dernier roman inachevé L’Homme sans qualités sans aller loin.
Je retrouve Musil grâce à l’exemplaire de ses Lettres publiées au Seuil acheté un euro à Paris. De cette lecture, essentiellement faite en terrasse au Sacre et au Son du Cor, j’ai gardé  un certain nombre d’extraits (le premier montre que le thème de l’inceste frère/sœur présent dans le second tome de L’Homme sans qualités était déjà dans son esprit au temps de sa jeunesse) :
Quand j’entends parler d’inceste, je ne suis pas obligé de penser à ma propre mère ou sœur ; si je le fais tout de même, je cesse de voir que l’inceste, en certains cas, présente de grandes qualités positives. L’erreur est de généraliser. Pour une évaluation un peu fine, il n’y a pas deux délits semblables. (A Matthias di Gaspero, fin juillet mil neuf cent sept ou plus tard ?)
Comme je n’ai vraiment pas pu décider jusqu’ici ce qu’est une œuvre littéraire, je proposerais : tout homme qui a quelque chose à dire est un écrivain ; si ce quelque chose ne peut se dire que par le moyen de l’écriture. (A Franz Blei, fin mil neuf cent dix-sept ou début mil neuf cent dix-huit)
… d’ailleurs ma situation actuelle au ministère de la Guerre est très agréable, idéale même : salaire de colonel et fonction de conseiller et d’expert peu consulté ; malheureusement, la chose ne semble pas durable. (A Johannes von Allesch, Vienne, premier juin mil neuf cent vingt et un)
En essayant ici, à force de lait de vache et d’excursions psychiques dans les alpages, de recouvrer une certaine candeur, j’ai déjà atteint un degré proprement poétique d’imbécillité qui me facilitera grandement la compréhension critique de mes contemporains. (A Arne Laurin, Steinach, Tyrol, dix-sept juillet mil neuf cent vingt et un)
Ma carte n’était pas une réponse impolie à votre lettre si attentive : je l’avais envoyée un jour avant que celle-ci n’arrive, dans un accès, fréquent chez moi en ce moment, de mauvaise humeur. (A Franz Blei, Vienne, vingt-deux décembre mil neuf cent vingt-trois)
Mais pourquoi Rowohlt ne veut-il tirer qu’à 5 000 ? Pour un roman, cela signifie qu’il ne nourrit guère de grands espoirs ! Et, pour moi, de grosses difficultés du fait des dettes que j’ai chez lui et du problème inéluctable de ma survie. (A Franz Blei, vingt-quatre mars mil neuf cent trente)
Les romanciers de notre génération (Th. Mann, Joyce, Proust, etc.) se sont tous heurtés au même problème : l’insuffisance de l’ancienne naïveté narrative par rapport au développement de l’intelligence. A cet égard, je tiens La Montagne magique pour une tentative complètement ratée ; dans ses parties « intellectuelles », c’est un vrai estomac de requin. Autant que j’ai pu voir, Proust et Joyce se contentent de céder à la dissolution en recourant au style associatif aux contours très flous. (A Johannes von Allesch, Vienne, quinze mars mil neuf cent trente et un)
En tant que personne, j’ai été épargné jusqu’ici par les évènements ; mais que je m’exile ou non, si la situation reste ce qu’elle est, il n’y aura plus aucune possibilité pour moi de survivre dans l’Allemagne nouvelle. Cela m’a déjà été suffisamment difficile dans l’ancienne ; en effet, malgré tout le bluff culturel, l’Allemagne était privée de but et tout à fait mercantile. (A Ziebolz, Karlsbad, onze avril mil neuf cent trente-trois)
Vous devez vous trouver fort bien dans votre froide Espagne, car ici, à Vienne, la chaleur est à couper au couteau, même la nuit ; et il a fallu que je choisisse ce mois pour le passer dans cette ville que j’ai évitée deux ans durant et dont les miasmes littéraires sont difficilement supportables même par température normale ! (A Franz Blei, Vienne, onze août mil neuf cent trente-trois)
Personnellement, je ne suis pas très doué pour la haine, mais je l’apprécie chez les autres ! (A Klaus Pinkus, vingt et un octobre mil neuf cent trente-trois)