En relisant Mémoires d’une jeune fille dérangée de Bianca Lamblin

28 janvier 2020


En attendant de trouver à un euro dans un vide grenier ou chez Book-Off Le Consentement de Vanessa Springora, si je relisais Mémoires d’une jeune fille dérangée de Bianca Lamblin, me suis-je dit, et sitôt fait, au lit.
Dans ce livre, paru chez Balland en mil neuf cent quatre-vingt-treize, celle qui, alors qu’elle était mineure, fut séduite par Simone de Beauvoir puis par Jean-Paul Sartre (on trouvera plus tard leurs noms au bas de la pétition qu’il ne fallait pas signer) fut ensuite abandonnée par l’un et par l’autre avant la guerre bien qu’elle soit juive, née Bienenfeld, puis redevint amie, seulement amie, avec le Castor après la guerre et ce jusqu’à la mort de cette dernière.
Après cette mort, à la lecture de Lettres à Sartre et de Journal de guerre, où elle est nommée Louise Védrine, Bianca Lamblin découvrit à quel point elle et lui s’étaient joué d’elle, ce qui la décida à mettre l’affaire sur la place publique en écrivant ce Mémoires d’une jeune fille dérangée dans lequel elle les accuse de manipulation à la manière des Liaisons dangereuses mais en plus vulgaire. Je crois me souvenir que Bernard Pivot, à qui est reproché sa complaisance vis-à-vis de Gabriel Matzneff, l’invita dans son émission.
Le contenu du livre peut se résumer en quelques extraits :
Si mon histoire n’est pas banale, cela tient sans doute à la personnalité de deux de ses protagonistes : Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Ensemble, nous formions un trio, ou du moins c’est ainsi qu’on m’avait présenté les choses.
Je me rends compte à présent que j’ai été victime des impulsions donjuanesques de Sartre et de la protection ambivalente et louche que leur accordait le Castor.
J’ai découvert que Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles une chair fraiche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre.
J’insisterai à nouveau sur nos âges respectifs : lorsque je connus le Castor elle avait vingt-huit ans, j’en avais seize. Je fis la connaissance de Sartre l’année suivante : il avait trente-quatre ans et moi dix-sept. Cet écart d’âge a certainement joué un rôle important dans nos relations, car, en plus de leur culture et de leur brillante intelligence, il leur assurait une évidente supériorité. Ils me considéraient comme une petite fille qu’il fallait former et avec laquelle on pouvait jouer, je les voyais comme des mentors et des modèles.
Cependant, ils auraient pu être mes parents.
Il a fallu la divulgation de ses écrits publiés en 1990 pour qu’enfin la réalité crue m’assaille.
C’est en réaction aux ignominies que contiennent ces lettres que j’ai décidé, par fierté, par sens de l’honneur, de répliquer en racontant mon histoire telle que je l’avais vécue.
Mes yeux étaient enfin dessillés. Sartre et Simone de Beauvoir ne m’ont fait, finalement, que du mal.
Mémoires d’une jeune fille dérangée fit son petit scandale. Peu en soutinrent l’auteure, beaucoup l’accusèrent de lèse Sartre et lèse Beauvoir.
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Parmi les explications de Vanessa Springora, un père absent (qui est d’ailleurs mort peu après la parution de son livre). Les anti Péhemma pour femmes seules ou lesbiennes en font une illustration des ravages causés chez un enfant sans père.
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Il en est qui demandent pourquoi n’a pas d’ennui la professeure de lettres d’Amiens qui séduisit son élève âgé de seize ans.
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Il en est d’autres, ou les mêmes, qui pétitionnent pour faire retirer du fronton des écoles le nom de Françoise Dolto, auteure de déclarations fâcheuses et signataire de la pétition qu’il ne fallait pas signer.
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Simone de Beauvoir, après avoir séduit une autre élève, fut exclue de l’Education Nationale pour « excitation de mineure à la débauche ». Elle semble échapper à la vindicte. A Rouen des lycéen(ne)s viennent d’installer un buste d’elle fabriqué par leurs soins devant la bibliothèque qui porte son nom.
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Tout ça c’est des vices de germanopratins, disent en chœur ceux qui, dans les villes et les campagnes, ont salivé au fil des décennies devant les nattes de Marie-Josée Neuville « la collégienne de la chanson », les couettes de Sheila, les sucettes à l’anis de France Gall, le banana split de Lio, le saxo du vas-y Joe de Vanessa Paradis et le moi Lolita d’Alizée ; ceux qui le soir dans leur lit ou dans leur salle de bains en pensant à l’une d’elles vas-y Joe split split split.