En stop jusqu’à la bouquinerie de Quévreville-la-Poterie

9 août 2017


Ma covoitureuse ne m’ayant plus jamais donné de ses nouvelles, je décide, ce lundi, de me rendre par mes propres moyens à la bouquinerie Détéherre nichée au hameau du Fresnay à Quévreville-la Poterie.
Pour ce faire, un peu avant midi, je prends le bus Effe Cinq jusqu’à Franqueville-Saint-Pierre puis me poste au rond-point de la route qui mène à mon but, le pouce levé.
Je n’attends que dix minutes avant qu’une voiture s’arrête. Un homme est au volant qui va travailler et connaît Détéherre où il se rend de temps en temps pour les quarante-cinq tours. Il me laisse au rond-point situé en amont de la petite route sinueuse qui mène au hameau. Plus loin, ce serait trop dangereux de s’arrêter. Je marche donc au bord de la route pendant un moment puis coupe à travers les champs moissonnés.
J’arrive à la bouquinerie géante à treize heures précises, au moment où l’employée ouvre la double porte métallique. Un verre d’eau m’est offert en récompense de cet exploit.
J’explore essentiellement les grands formats à un euro et les poches à vingt centimes, trouvant de quoi remplir mon panier. Dans mon choix se trouve C’était Bory de Daniel Garcia et Janine-Marie Pezet, publié par les Editions Cartouche, un livre accompagné de deux cédés de soixante-dix-sept minutes chacun composés d’extraits du Masque et la Plume, l’émission de France Inter que j’écoutais jadis pour le plaisir d’entendre Jean-Louis Bory se chamailler avec Georges Charensol. Bory, qui avait eu le Prix Goncourt en mil neuf cent quarante-cinq pour Mon village à l’heure allemande mais dont les romans suivants ne connurent pas le même succès et qui s’est suicidé dans la nuit du onze au douze juin mil neuf cent soixante-dix-neuf dans sa maison de Méréville d’une balle dans le cœur. Il avait cinquante-neuf ans.
Je débourse huit euros vingt et bois un nouveau verre d’eau. Sur le conseil de Caroline, fille du maître des lieux, je me rapproche du rond-point aval par un sentier champêtre qui mène au centre de Quévreville. A la sortie du village, posté près de la pharmacie, je n’ai que deux minutes à attendre avant que s’arrête une femme qui va voir sa fille à Fresne-le-Plan.
-Ça marche toujours l’auto-stop ? me demande-t-elle.
-Cela faisait longtemps que je n’en avais pas fait, mais oui, on dirait.
-Je vous préviens, je conduis mal.
Elle m’emmène surtout à un endroit que je ne visais pas, au centre de Boos, où ne circule que le peu fréquent bus Treize. Heureusement, un passage est prévu dans dix minutes (le suivant dans une heure). Par une route très indirecte, je retrouve l’Hôtel de Ville de Rouen. Il est trois heures moins le quart quand je tourne ma clé dans la serrure.
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Ce dimanche à quatorze heures, un rassemblement avait lieu rive gauche devant les ruines du Cuba Libre, un an après l’incendie, en mémoire des quatorze victimes : Ophélie, qui fêtait ses vingt ans dans le sous-sol de ce bar, et ses invité(e)s Mégane, Florian, Mavrick, Donatienne, Sarah, David, Julie, Jennifer, Zacharia, Romain, Brahim, Steve et Karima.
Le rapport d’enquête est accablant pour les deux frères gérants : escalier trop étroit et trop raide, revêtement isolant du plafond et des murs hautement inflammable, issue de secours bloquée.
Y aller ou pas ? Je me suis interrogé et ai choisi la négative, ne connaissant pas personnellement les victimes, ni leurs familles.