Irruption de l’homme au casque blanc chez Guidoline

5 juin 2015


Il entre dans le Guidoline Café comme en terrain conquis, son casque blanc autour du cou, dit bonjour à la responsable du bar comme s’il la connaissait, pose ses multiples sacs, enlève ses nombreux manteaux, se tourne vers moi qui suis occupé, ce mardi après-midi, à tapoter sur mon ordinateur des extraits des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre :
-Vous êtes philosophe ?
-Non.
-Universitaire alors ?
-Non plus.
Il passe dans l’atelier où l’on bichonne les vélos, se renseigne pour en acheter un destiné à sa fille. Celui qu’on lui propose est à réparer, quinze euros.
Il repasse dans le café, demande à laisser ses affaires, déclare qu’il va aller chanter pour gagner les quinze euros, revient cinq minutes plus tard.
-Vous voulez m’acheter un poème un euro ? demande-t-il à la responsable du bar qui décline.
-Et vous monsieur ?
-Non merci.
-Je m’en doutais.
Il va en proposer à cinquante centimes à l’atelier où l’on n’a pas envie de lâcher la clé à molette pour la poésie.
-Bah tant pis, ronchonne-t-il en revenant dans le café, ma petite fille, elle aura pas de vélo, c’est que des sans-cœur.
Il remet tous ses manteaux, récupère tous ses sacs :
-De toute façon, moi le vélo, je m’en branle, y a que les tapettes qui en font, des mecs avec des collants et des petites chaussures.
Il fait une photo, dit qu’il va aller consulter son avocat, puis sort par l’atelier :
-Au revoir, les tapettes.
-On dit les pédales, lui fait remarquer l’un des responsables du lieu.
                                                                *
J’ai tout de suite su à quoi m’en tenir avec cet hurluberlu pour l’avoir déjà vu à l’œuvre quatre jours plus tôt. Lors des concerts Rush du Cent Six, il a rendu nerveux certains vigiles.
Avant celui de Sourdure dans l’aître Saint-Maclou, j’étais prés du musicien électro-auvergnat lorsqu’il est apparu, casque blanc sur les oreilles, bouquet de fleurs blanches à la main, s’adressant à l’artiste en ces termes:
-On m’a dit qu’il fallait payer quatre mille euros à la Maison des Artistes et qu’après on était artiste, c’est vrai ?
-Je sais pas, lui a répondu le garçon à caquette jaune, moi je suis inscrit nulle part.
-Comment tu fais alors ?
-J’ai plusieurs activités.
L’hurluberlu a alors sorti son carnet et un stylo.
-Tu peux me donner ton adresse mail. Je donne des cours de méditation zen, c’est trois mille euros, mais pour toi ce sera gratuit.