Les Variations Goldberg par Alexandre Tharaud à l’Opéra de Rouen

4 février 2016


Ce mardi soir, j’ai pour objectif de m’asseoir au plus près d’Alexandre Tharaud invité à jouer les Variations Goldberg à l’Opéra de Rouen. Pour ce faire et déjouer la concurrence, je me plante devant la porte de la salle, côté impair. Celle-ci ouverte, je peux m’asseoir sur la chaise de premier rang offrant la meilleure vue sur le clavier du piano Yamaha.
-Je savais bien que ce soir je devrais me battre avec vous, dis-je à celle qui arrive deuxième et s’installe à ma droite.
Elle ne se plaint pas, elle aussi bénéficie d’une très bonne place.
-On pourrait les revendre très cher, lui fais-je remarquer.
-Oh non, je ne pourrai jamais faire une chose pareille, se récrie-t-elle.
Bientôt, toutes les chaises avec vue sont occupées. Derrière nous, les trois niveaux de la salle s’emplissent. Le brouhaha s’accroît et devient considérable, inutile de se retourner pour savoir que c’est complet ce soir. Alexandre Tharaud a eu maintes fois l’occasion de se faire apprécier ici, notamment les trois années pendant lesquelles il était en résidence.
Un peu avant vingt heures, un couple se présente muni de billets donnant doit au placement libre sur les chaises mais toutes sont occupées. Au lieu de dénicher les deux resquilleurs, le placeur en chef fait installer deux sièges supplémentaires gâchant la vue à un autre couple qui n’ose protester.
Alexandre Tharaud apparaît, quarante-sept ans mais toujours jeune homme. Il s’assoit, se concentre et se lance dans l’aria. Les variations s’enchaînent, certaines lui donnant envie de chantonner silencieusement, d’autres le faisant sourire ou fermer les yeux, certaines attaquées rapidement, d’autres précédées d’un longue pause hélas troublée par des toux. Les doigts galopent ou se freinent, les mains se croisent parfois. Au bout d’une heure, c’est l’apaisement de la lente aria finale
Le triomphe est à l’issue. Alexandre Tharaud offre deux bonus que les connaisseurs auront reconnu, le second étant l’occasion de quelques prouesses techniques.
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S’il est prouvé que le silence après Mozart est encore du Mozart, on ne peut dire ce soir que les silences entre deux variations soient de Bach car s’y engouffrent les nombreux catharreux (encore un concert participatif).
L’assurance avec laquelle s’expriment ces fâcheux me rappelle celle des obèses occupant deux sièges dans les bus américains.
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Alexandre Tharaud aura pris une année sabbatique afin de s’approprier l’œuvre de Johann Sebastian Bach. « Je ne voulais pas l’enregistrer trop tôt. La maturité apporte un relief plus profond et me permet de mieux assumer qui je suis au piano, mes zones brumeuses, nuageuses, mes faiblesses aussi. Ce sont souvent les choses qui ne vont pas qui sont intéressantes, et que l’on a tendance à gommer lorsque l’on est jeune : les zones d’ombres, les tunnels, les petits trous, les fausses notes, qu’on n’entend pas forcément, mais qui permettent au disque d’être fluide et vivant, à défaut de chercher la perfection. » déclare-t-il dans le livret programme (entretien avec Vinciane Laumonier).
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Contrairement à ce que je croyais, les travaux de la chapelle Corneille devenue auditorium sont terminés avant les concerts d’inauguration. Ils auront lieu cette fin de semaine. Je n’y serai pas, ce lieu à dorures exagérées et à grosse boule de trois tonnes pour améliorer l’acoustique ne me dit rien.
On y verra souvent le Poème Harmonique qui pour ses Saisons baroques appelle à la rescousse le cinéma, le cirque et la gastronomie, la musique ne se suffisant désormais plus à elle-même.