M’en allant à Yvetot voir et ouïr Annie Ernaux

26 mai 2016


Ce lundi matin, dans Le Temps des Librairies de France Culture, Christophe Ono-Dit-Biot reçoit Manuel Hirbec de la librairie La Buissonnière à Yvetot. Ce dernier évoque (très bien) le dernier livre d’Annie Ernaux Mémoire de fille et à l’issue indique que celle-ci sera présente dans la librairie de sa ville d’enfance et d’adolescence le lendemain à dix-sept heures.
Ce pourquoi mardi, à quatorze heure trois, je suis dans le train quittant Rouen pour Le Havre et en descends à la gare d'Yvetot. Huit cent six mètres me séparent de La Buissonnière. J’emprunte la rue de la République, la rue de la Victoire et arrive place Victor-Hugo. Je prends un café en terrasse du Six, le bar voisin de la belle librairie moderne qui fait face à l’église rose du vingtième siècle. C’est la première fois de ma vie que je suis à Yvetot, que je n’ai jamais fait que traverser pour aller au bord de mer. Je peux ainsi vérifier de visu que cette ville est aussi exaltante que Louviers, ma ville d’enfance et d’adolescence. Trois jeunes excités montent dans une voiture. « J’ai été une seule fois à Paris, dit l’un, et je recommencerai jamais. »
J’entre dans la librairie à seize heures et informe l’un des employés de la présence du livre de l’invitée dans mon sac à dos.
-Je l’ai acheté ailleurs, lui dis-je, omettant de préciser où, j’espère que ce n’est pas un problème ?
-Pas du tout.
Cinq minutes plus tard, arrive Annie Ernaux, polo noir, veste rouge, blue-jean et baskets blanches. Elle est venue avec sa voiture et a eu un peu de mal à trouver de l’essence à la sortie de Rouen.
-C’est vrai, lui dit une dame lectrice, si vous n’aviez pas du tout eu d’essence, vous n’auriez pas pu venir.
-Ah, mais non, j’aurais pris le train, répond-elle, montrant que le temps où revenir à Yvetot était pour elle impossible, puis difficile, est révolu.
Comme elle commence, à la demande des premières arrivées, à dédicacer des exemplaires de son livre, j’ose l’aborder avec le mien.
-J’ai lu votre livre, lui dis-je, et je l’ai beaucoup aimé. Je trouve que c’est votre meilleur.
Elle me remercie.
Des femmes évoquent avec elle sa vie à Yvetot, des gens qu’elle a connus.
-C’est incroyable comme elle accessible, s’étonne l’une déjà assise face aux deux fauteuils en rotin où sont posés des micros.
Je trouve place au deuxième rang. Il y a bientôt beaucoup de monde, surtout des femmes, surtout d’un âge certain, mais aussi des hommes, et quelques jeunes dans le fond. Devant moi est quelqu’un de ma connaissances, muni d’un appareil photo, à qui je demande de m’en envoyer. Annie Ernaux fait un essai de micro : « On croirait que je suis à la foire Saint-Luc, elle existe toujours ? « 
Manuel Hirbec n’a pas besoin de fiches pour évoquer Mémoire de fille qui, dit-il, a été pour lui un choc de lecture. Il en indique le succès : vingt mille exemplaires vendus par semaine, puis il interroge l’auteure sur le fond et la forme de son récit, sur l’histoire racontée des décennies plus tard de celle qu’elle était à dix-huit ans et dont elle parle à la troisième personne, « la fille de 58 » dont est narrée la première fois, violente, et ses suites, sur sa manière de le raconter, sur la construction du livre. Annie Ernaux sait aussi bien parler de son travail qu’écrire, C’est toujours passionnant de l’écouter.
A la fin de l’entretien, la parole est donnée aux présent(e)s. J’y vais de ma remarque anecdotique. Dans le livre, la ville où se passe l’évènement déterminant n’est nommée que par son initiale. Il s’agit de protéger l’anonymat des personnes, me dit-elle. Je m’en doutais bien mais c’est illusoire car il suffit de taper « Orne aérium » sur Gougueule pour savoir où cela a eu lieu. Elle en est surprise, bien que dans son livre elle raconte comment elle a fait des recherches sur Internet pour savoir ce que sont devenus celles et ceux qui étaient monitrices et moniteurs de colonie de vacances avec elle dans cet aérium.
D’autres, heureusement, posent des questions plus profondes. L’un des jeunes évoque Duras qui elle aussi mêlait dans ses livres le « je » et le « elle ».
-Ça n’a rien à voir, lui répond-elle un peu sèchement (manifestement Annie n’aime pas Marguerite).
Un homme âgé lui demande ce qu’il adviendra de ses manuscrits quand elle ne sera plus là. Elle répond que la plupart sont déjà à la Bibliothèque Nationale et que les autres suivront. Quant à son Journal il ne sera publié qu’après sa mort (m’étonnerait donc que je puisse le lire, vu la forme qu’elle a, elle ne mourra pas avant cent un ans).
Elle nous dit aussi qu’être lue lui permet d’affronter facilement la vieillesse et même lui enlève la peur de mourir. Un bouquet lui est offert par une employée de la Buissonnière cependant que nous applaudissons, puis celles et ceux qui n’ont pas encore eu droit à une dédicace font file tandis que je quitte la librairie.
La gare d’Yvetot est en travaux. Aucun panneau n’indique clairement de quel quai partent les trains, ce qui fait que j’en loupe un premier. J’aurais dû demander à Annie Ernaux de me ramener à Rouen. J’avais encore plein de questions à lui poser, notamment si elle est préparée à l’éventualité que celui dont elle parle l’apprenne et la contacte.
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« Pour Michel, avec beaucoup d’émotion pour ces mots que vous avez eus, Annie Ernaux, Yvetot le 24 mai 2016 » (mon exemplaire a singulièrement pris de la valeur).