Mes retrouvailles avec Le Masque et la Plume

27 novembre 2023


Le dimanche matin, pour fuir les émissions religieuses de France Culture, j’écoute France Inter, d’abord le déplorable Ali Baddou, puis le documentaire toujours bien fait Interception et à dix heures, depuis qu’Eva Bester a changé d’horaire, Le Masque et la Plume, une émission que je n’avais pas écoutée depuis un demi-siècle.
Elle n’a pas changé. Comme au temps de Georges Charensol et de Jean-Louis Bory, on y pratique la critique vacharde de livres, de films et de pièces de théâtre.
Quel contraste avec les émissions de France Culture devenues si consensuelles, pleines de bons sentiments, vantant la bienveillance, la fraternité, la sororité et autres fadaises, une incessante leçon de morale et d’éducation civique. Au point que parfois je me demande si à la direction de France Culture il n’y aurait pas David Bobée.
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Il y a cinquante ans, Le Masque et la Plume était diffusé le dimanche soir. Je me revois l’écoutant dans le petit appartement meublé que j’avais loué à Elbeuf. A cette heure-là, j’étais comme démoli à l’idée de retrouver le lendemain matin mes élèves de la Classe Pré Professionnelle de Niveau au Collège de La Saussaye dans laquelle j’avais été nommé sans l’avoir voulu à ma sortie de l’Ecole Normale d’Evreux.
J’étais relégué dans un préfabriqué au fond de la cour où m’ignoraient ostensiblement les profs d’enseignement général. J’avais pour élèves une quinzaine de branlotins (treize garçons, deux filles) qui passaient en alternance deux semaines en classe et deux semaines en stage dans un domaine qu’ils n’avaient pas choisi (ces garçons voulaient faire de la mécanique auto et se retrouvaient chez un boucher ou un boulanger).
Une des filles me draguait et les garçons m’en faisaient baver. C’était épouvantable. Jamais de ma vie je n’ai été aussi proche du suicide. J’y ai échappé grâce à un médecin de Louviers sans patientèle qui survivait en délivrant des arrêts de maladie à volonté. Je quittais mon logement d’Elbeuf. Mon congé dura des vacances de la Toussaint à celles de l’été suivant.