Paris, y vendre des livres

16 juillet 2015


Après avoir survécu à un Quatorze Juillet à Rouen où c’est l’un des pires jours de l’année, lequel fut toutefois l’occasion d’une nouvelle visite de l’exposition Sienne (aux origines de la Renaissance) au Musée des Beaux-Arts, celle-ci offerte par la Matmut sans quoi la Fabiusie ne serait rien, je prends ce mercredi matin le train de huit heures douze pour Paris chargé d’un sac de dix-neuf livres que les bouquinistes de la place ne veulent pas m’acheter. Ils n’ont pas la clientèle. En effet, à part moi, qui à Rouen aurait envie de lire O’Henry, Franck Venaille, Hubert Lucot, Gabrielle Wittkop ou Gaétan Soucy.
A Oissel montent une femme bourgeoise et ses deux filles, quinze et dix-sept. Les deux sœurs se partagent la lecture de M, le supplément magazine du Monde. L’objet de leur intérêt est en couverture : un beau ténébreux à lunettes noires légendé Christophe Rocancourt, profession : escroc. Leurs yeux pétillent à l’évocation des exploits de mon assigné à résidence de voisin.
A l’arrivée, je me rends par le bus Vingt-Sept chez Gilbert Jeune. Devant le lieu dédié à l’achat des livres une file impressionnante me donne à réfléchir. Dix-sept personnes me précèdent et je ne sais combien sont déjà à l’intérieur. J’attends comme tout le monde. Un autre attend également, sur le côté, qui avec son petit chapeau et ses lunettes noires a l’air lui aussi d’un escroc mais petit bras (comme on dit). Il récupère les livres dont Gibert ne veut pas, sans payer bien sûr, ce que constate, dépité, un jeune homme bien mis qui lui laisse quand même le contenu de sa grosse valise.
Cela avance plutôt vite. Bientôt je suis à l’intérieur, me demandant d’où viennent les nombreuses Pléiades neuves qu’un quidam sort de sa valise. Mon tour venu, c’est un faux Dominique A qui s’occupe de mes livres. Il les bipe avant de m’annoncer que rien n’intéresse la maison. Je remballe, maudissant intérieurement ce commerçant auquel je ne proposerai plus rien. A la sortie le mafioso lorgne avidement sur mon sac. Il est déçu.
Je remonte le boulevard Saint-Michel jusqu’à l’arrêt du Quatre-Vingt-Six. Il m’emmène à la porte du Book-Off de Ledru-Rollin où l’on reprend dix-huit de mes livres pour sept euros cinquante. Le refusé est une biographie de Clara Malraux, morte une nuit au Moulin d’Andé en lisant Rousseau. Il est un peu jauni.
Allégé, je vais déjeuner d’un confit de canard, pommes rissolées, salade au Péhemmu chinois où les deux jeunes serveuses sont contentes de me revoir. Sorti de là, je passe chez Emmaüs, rue de Charonne. Le premier livre qui attire mon œil a pour titre Rue des Chanoines. Il s’agit de celle de Genève et non de Rouen. Ce petit livre élégant signé Catherine Fuchs et Micheline Louis-Courvoisier est publié chez Zoé Poche. C’est un roman historique évoquant un complot sous la Réforme. Je ne le lirai pas mais je l’achète évidemment.
Je repasse ensuite chez Book-Off afin de faire le meilleur usage de mes sept euros cinquante puis sous la chaleur montante vais voir d’un coup de métro ce qu’il en est dans l’autre boutique.
En fin d’après-midi, je suis Chez Léon, rue de l’Isly où le patron découvre que Victor Hugo a habité. Une touriste italienne, fille d’antiquaire, s’extasie sur la caisse enregistreuse de mil neuf cent vingt-cinq.
-On a aussi des toilettes à la turque de mil neuf cent vingt, lui dit le patron.
-Sans pécu, avec du sable, ajoute le pilier de comptoir de service.
En terrasse, une femme s’époumone dans son téléphone :
-Jonas, donne-moi une bonne raison de vivre.
                                                       *
Une bonne raison de vivre, je n’en ai plus. Les mauvaises me suffisent.