Quelques soirées avec les filles de Karl Marx

30 décembre 2020


Karl Marx avait trois filles : Jenny, Laura et Eleanor. Les lettres écrites entre elles et celles à leur père ont été publiées en mil neuf cent soixante-dix-neuf par Albin Michel sous le titre Les filles de Karl Marx Lettres inédites avec une préface de Michelle Perrot. Mon exemplaire a vécu, trouvé avant-guerre au marché d’Aligre (y retournerai-je un jour ?).
Difficile d’être une fille de Marx sans être marxiste et en épouser un. Laura se marie la première avec Paul Lafargue (elle aura  trois enfants en quatre ans, qui ne survivront pas). Jenny se marie avec Charles Longuet (elle aura six enfants en dix ans, quatre survivront). Quant à Eleanor, ma préférée, elle choisit de vivre maritalement avec Lissagaray, ce qui déplaît fort à son bourgeois de père qui juge l’élu trop libertaire et n’apprécie pas leur différence d’âge, ce Karl Marx qui de son côté a fait un enfant à la bonne, un garçon qu’Engels a reconnu pour lui rendre service (ce n’est qu’après la mort de ce dernier que Laura et Eleanor, Jenny étant déjà morte, apprendront la vérité). Eleanor n’aura jamais d’enfant, elle traduira Madame Bovary en anglais et vivra avec Edward Aveling qui, lorsqu’elle aura quarante-trois ans se mariera secrètement avec une jeune actrice tout en continuant à vivre avec elle. L’ayant appris, celle qui était aussi la préférée de son père se suicidera en avalant du poison pour chien. Laura et Paul Lafargue se suicideront ensemble, bien plus tard.
Mes quelques prélèvements :
Nous sommes actuellement dans un hôtel de Dieppe où nous avons trouvé tout ce que nous désirions et même bien plus. Le temps est beau et la ville extrêmement jolie. Laura Lafargue à Karl Marx le vendredi trois avril mil huit cent soixante-huit
Je suis invitée cet après-midi à une grande réception chez Lady Wilde. C’est la mère de ce jeune homme très déplaisant et très boiteux, Oscar Wilde, qui s’est rendu si diablement ridicule en Amérique. Comme le fils n’est pas encore rentré et que la mère est gentille, il se peut que j’y aille… Eleanor à Jenny le premier juillet mil neuf cent quatre-vingt-deux
Comme j’aimerais qu’on ne vive pas dans des maisons et qu’on n’ait pas à faire de cuisine, de pâtisserie, de lessive et de ménage ! Eleanor à Laura le douze avril mil huit cent quatre-vingt-cinq
Cela me fait de la peine pour Louise. Bebel et tous les autres lui ont dit qu’il était de son devoir envers le Parti de s’installer ici. Elle ne mérite guère cela. Son travail marchait si bien à Vienne et ce n’est pas rien de sacrifier toute sa carrière – on ne demanderait pas à un homme d’en faire autant. Elle est encore si jeune, à peine 30 ans. Il semble injuste de l’enfermer et de lui ôter toute chance d’une vie plus pleine et plus heureuse. Eleanor à Laura  le dix-neuf décembre mil huit cent quatre-vingt-dix (il s’agissait pour Louise de faire gouvernante chez Engels vieillissant)
Il est possible que je sois très « sentimentale » mais je ne peux m’empêcher de trouver que Freddy a été toute sa vie victime de l’injustice. Quand on regarde les choses bien en face, n’est-il pas extraordinaire de voir à quel point on pratique rarement toutes les vertus qu’on prêche … aux autres ? Eleanor à Laura le vingt-six juillet mil huit quatre-vingt-douze (elle ne sait pas encore que Freddy est son demi-frère)