Remontant la pente du chasse-marée

2 juin 2020


Ce dimanche de Pentecôte, fort tôt, je décide de remonter la pente du chasse-marée, cette côte de laquelle déboulaient à cette heure les « voituriers de la mer » partis en début de nuit du port de Dieppe avec le poisson destiné au Vieux Marché de Rouen. C’était avant que le train les mette au chômage.
Pour rejoindre ce qui est devenu un chemin de grande randonnée, je me dirige vers le Pensionnat Jean-Baptiste de la Salle et, rue de l’Hôpital, voit venir à moi des paumés du petit matin.
-On se serre la main malgré le coronavirus ? me demande l’un
-Je ne crois pas, lui réponds-je, n’osant ajouter que même sans je n’aurais pas envie de la lui serrer.
Son attention est détournée par deux filles du groupe qui entrent dans une poubelle afin de s’y faire photographier. En voilà deux qui ont trouvé leur place.
Plus loin, à proximité de la place Cauchoise, je croise un couple du même genre, mais autocentré.
-Hier tu t’es requinquée en faisant le ménage, lui dit-il, j’ai l’impression que c’est une technique, déjà avant tu t’étais requinquée en faisant la vaisselle.
Elle acquiesce. Je l’inviterais bien à venir se requinquer chez moi à l’occasion, pour le ménage, pas pour la vaisselle, et de préférence parfaitement à jeun.
Passé Jibé, une pancarte de grandes dimensions un peu ancienne explique le chasse-marée. Je m’engage dans la cavée Saint-Gervais, route fort pentue bordée de maisons rupines de diverses époques que je photographie. A mi-hauteur, je trouve le panneau d’entrée à Mont-Saint-Aignan, l’une des villes de la banlieue rouennaise que préfère la bourgeoise bourgeoisante. Il faudrait continuer tout droit pour arriver à Dieppe au bout de quatre-vingts kilomètres. J’abandonne là et prends sur la gauche une autre route à maisons cossues. Devant l’une, je surprends un vieux couple en robe de chambre qui ne s’attendait pas à voir un piéton à cette heure. Un peu plus loin se trouve le bâtiment du Carmel du Haut-Mesnil devenu siège social de la société Vert Marine.
Bientôt, je ne sais plus où je suis. Toutefois, je ne suis pas perdu. Je poursuis en descendant doucement, sachant qu’il me suffira de trouver une rue à gauche pour retrouver Rouen.
C’est la rue des Voûtes sur laquelle mon ombre est démesurée. De là, j’ai belle vue sur le port industriel. Un cargo rouge attend devant le silo à grains. Quand je suis assez bas, je prends une nouvelle fois à gauche, rue Chasseliévre.
Elle me ramène à mon point de départ, d’où je rejoins le Vieux Marché, songeant que depuis le jour du début de confinement, je n’ai pas mangé de poisson, pour la raison que je n’ai pu aller au restaurant.
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Ce lundi de Pentecôte est le bon jour pour faire don de mes tréteaux et du plateau qu’il n’est pas prudent que je continue à porter vu son poids. Un message sur la page Effe Bé des Etudiants de Rouen et l’affaire est conclue avec un couple qui habite près du Gros-Horloge. Le jeune homme costaud se charge du plateau et la jeune fille menue des tréteaux. « C’est pour faire de la peinture », me dit-elle.
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Pendant tout le ouiquennede, grand carillonnage à la Cathédrale. Appels à la messe et concerts profanes. Lors de celui du samedi : La complainte de la Butte, Mon amant de Saint-Jean, Bella Ciao.