Saint-Brieuc (dix-sept) : Pordic

18 septembre 2025


Compliqué, le réseau des bus Tub à Saint-Brieuc, il y a ceux que l’on prend à la Gare Ferroviaire, ceux que l’on prend de l’autre côté de la passerelle à la Gare Routière, ceux que l’on prend au Centre Commercial Les Champs et d’autres qui partent de rues et de boulevards improbables, comme le Dix que je veux prendre ce mercredi pour aller au Petit Havre (commune de Pordic). De plus, avec ce Dix, il faut veiller à choisir le bon car il y a trois terminus différents. Le mien de terminus est L’Herminier, l’horaire : neuf heures dix, le point de départ : rue du Combat des Trente. Un lieu que je rejoins pédestrement après mon petit-déjeuner, un combo Pôse de Valentine Bar La Passerelle.
En chemin, la voix du bus annonce « Prochain arrêt : Avenir » (il y en a donc encore un) puis un arrêt Aldo Moro. Je descends à l’avant-dernier, Petit Havre, puis prends la route du Petit Havre qui descend rudement vers la plage du Petit Havre. La mer est visible, bleue comme il faut, plus lointaine qu’elle n’a l’air.
J’y arrive enfin. Cette plage est coincée entre deux pointes rocheuses. Le Géherre est ardu à cet endroit. Je m’y risque vers la Pointe de Pordic, attaque une première volée de marches en bois abîmées, puis une seconde en pire état et ça monte encore. Je renonce et ai un peu de mal à redescendre ces escaliers.
Il n’y a rien pour s’asseoir près de la plage. Je remonte, ce qui est déjà épuisant, à l’arrêt de bus, un simple poteau. Le prochain Dix de retour est à onze heures cinquante-cinq et il est dix heures et quart. Le centre du bourg est trop loin pour y aller à pied. Je reprends la marche jusqu’au terminus L’Herminier. J’y trouve un abribus avec un banc et des toilettes. De quoi survivre.
Je suis en train d’écrire cela et prêt à lire longuement sous cet abri quand la barrière de la maison d’en face s’ouvre. Un homme de mon âge s’apprête à sortir sa voiture. Je traverse, lui explique mon problème et lui demande s’il peut m’emmener au bourg. Il accepte et me voilà sauvé.
Je le remercie bien quand nous arrivons au pied de l’église. Un café est à côté, le bien nommé Bar L’Arrivée. Lui ira après ses courses. J’y vais sans attendre. « Vous écrivez vos mémoires ? » me demande l’homme qui boit une bière à la table d’à côté et dont la vêture est originale ou excentrique (comme on voudra). Souvent, j’envoie balader quand on me pose ce genre de question mais là non. « Je raconte mon voyage », lui dis-je.
La conversation s’engage. C’est surtout lui qui parle. Un comédien de théâtre et de cinéma qui écrit, dessine et fait des performances. Par ailleurs petit-fils du Colonel Rémy. Son nom : François Genty aka SangFroidGitan. Il va ouvrir un centre de cure ayurvédique avec hébergement en dortoir sur tatami à Etables au-dessus de Binic. Je lui raconte comment j’ai été conduit ici par un autochtone alors que j’étais coincé près de la mer. « Et comment s’appelle ce bar ? », me demande-t-il. « L’Arrivée. » « Il n’y a pas de hasard. » Ce grand manipulateur de mots est calé en numérologie et autres sciences plus ou moins occultes. Il me donne son interprétation de mon prénom et de mon patronyme. Tout conduit à faire de moi un ermite. Il calcule je ne sais quoi à propos de mon avenir et arrive toujours au nombre neuf. Et neuf, bien sûr, c’est le renouveau, on repart à zéro. Il me promet une nouvelle vie pour l’an prochain. Le sceptique que je suis l’écoute avec plaisir pendant un bon moment puis je lui annonce que je vais faire le tour de Pordic.
C’est vite fait. Il n’y a que l’église à voir. A l’ombre de celle-ci, je trouve l’Hôtel Restaurant Le Perroquet où on loue des chambres à un prix pas vu depuis longtemps : pour une personne, trente euros hors saison, quarante-cinq euros en saison, douche et vécé dans le couloir bien sûr. On y propose un menu ouvrier à douze euros cinquante donnant droit à entrée plat fromage dessert vin et café. J’entre réserver puis retourne boire un café à L’Arrivée, en terrasse cette fois (un euro quarante).
Au Perroquet, l’entrée est une assiette préparée à l’avance, le plat un couscous poulet merguez, la carafe de vin rouge généreuse, l’eau minérale Cristaline, le pain rustique et excellent. Comme dessert, je choisis une tarte aux pommes qui s’avère délicieuse. Quelques hommes seuls mangent ici ainsi qu’un couple que je pense être des touristes. Le mobilier date des années soixante-dix. Derrière le comptoir, une affiche « Coluche candidat » éditée par Charlie Hebdo. Cet endroit est une sorte de Musée de l’Hôtellerie. J’en sors fort content. Cette journée mal partie est bien retombée sur ses pieds (si j’ose dire).
Je retourne à L’Arrivée pour un autre café en terrasse et ouvre le Bouquins Laffont Œuvres complètes de Paul-Jean Toulet (poésie, romans, nouvelles et contes, théâtre, essais et notes, journaux, correspondance). Ce livre épais s’ouvre sur un portrait de Paul-Jean Toulet par Bernard Delvaille qui commence ainsi : On ne lit pas Toulet sans quelque plaisir pervers.
Cela débute par ses Contrerimes.
Ainsi :
Embrassez-moi, petite fille,
Là, bien. Quoi de nouveau ?
As-tu retrouvé le cerveau
Qui manque à ta famille ?
et aussi ceci :
A Londres, j’ai connu Bella,
Princesse moins lointaine
Que son mari le capitaine
Qui n’était jamais là.
Il y a un bus Dix pour rentrer à quatorze heures quarante-quatre. L’arrêt est devant la Poste.  Pordic, tu serais parfaite si ton centre avait les pieds dans l’eau.
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« Des excuses, c’est comme le trou du cul, tout le monde en a. » (le patron de La Passerelle). Il adore tuer les mouches avec sa raquette électrique.
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Le soir venu, je regarde un portrait de SangFroidGitan « à la fois calme et totalement barré » par le vidéaste Cédric Barbier. Ça date d’il y a onze ans mais il est toujours lui-même.