Sous le soleil, un mercredi à Paris

29 mai 2015


La journée s’annonce belle ce mercredi. Le train de sept heures huit pour Paris fend le brouillard normand. Le soleil apparaît du côté de Vernon. J’attends un peu longtemps le bus Vingt. J’en descends à Bastille, vais pédestrement jusqu’à l’angle Faubourg-Saint-Antoine Ledru-Rollin. A dix heures, j’entre chez Book-Off, y achète quelques livres.
Je rejoins la rue de Charonne avec l’intention de déjeuner en terrasse Chez Céleste et en croise justement le patron du pain dans les bras. Il me reconnaît et me salue. Comme il n’est pas encore midi, j’entre chez Emmaüs où je trouve un livre autrefois possédé et vendu : Henri-Pierre Roché, l’enchanteur collectionneur. Je le rachète, ayant envie de remettre les yeux dans cette biographie, signée Scarlett et Philippe Reliquet et publiée chez Ramsay, après ma lecture des Carnets dudit Roché, pendant laquelle j’ai noté moult extraits (quand donc trouverai-je le temps de les intégrer à ce Journal ?).
Dans la formule de Chez Céleste, je choisis les beignets de calamars et le coquelet chorasco dont l’épluchage demande patience et savoir faire, ce qui me donne le temps d’étudier la population locale passant à pied ou en vélo, beaucoup de monde avec une tête sympathique d’habitant(e)s de quartier populaire. Le café bu, je vais profiter du soleil sur le quai du port de l’Arsenal où pique-nique une nombreuse jeunesse. J’y lis l’un des livres trouvés chez Book-Off Le Chien mandarin, recueil de textes de vieillesse de Czeslaw Milosz (Editions Mille et Une Nuits).
D’où est-ce que ça vient ? demande-t-il. Ces lèvres de vingt ans, humectées de carmin, ces cheveux châtains vaporeux, trop lâches pour qu’on puisse parler de boucles… Ces yeux magnifiques dans leur écrin de cils et de sourcils. Qu’annoncent-ils ? Pourquoi est-ce que je gémis, frappé par sa beauté ? Elle est née à l’époque où j’enseignais Dostoïevski et tentais de supporter l’idée que j’étais vieux. Il en naît encore et encore, et s’il m’était permis de continuer à vivre, agoniserais-je de nouveau d’une extase amoureuse ?
Une réflexion que je fais d’autant plus mienne que je suis entouré de jolies jeunes filles dont pas une ne me jette un regard.
C’est un jeune homme en long manteau noir et à grosses chaussures de même couleur qui s’approche de moi :
-Pardon monsieur, vous n’auriez pas des mouchoirs en papier, y a un oiseau qui vient de chier sur mon téléphone.
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Plus question de bloquer la ville, ce jeudi après-midi, les forains qui veulent voir rester la Saint-Romain sur les quais ne font qu’une petite manifestation d’avertissement avec pique-nique devant la Mairie rouennaise. Des confettis, rue de la République, témoignent de leur passage, comme je le constate en allant à l’Ubi vers treize heures.
Las, ce lieu est occupé par une réunion comme en ont souvent les artistes, plus qu’à faire demi-tour, dépité, et à écrire ma journée parisienne à la maison. Déjà que parfois c’est une classe qui déboule alors que j’y suis tranquillement à écrire, ce qui me rappelle le temps où je travaillais.
Aux dernières vacances, c’était un centre de loisirs. Les explications sur l’exposition en cours à la MAM Galerie étaient données par une stagiaire. Pour définir l’art contemporain elle a demandé à son auditoire: « C’est quoi un artiste contemporain ? » puis a donné cette réponse « C’est un artiste qui est vivant »
Pauvres enfants, me suis-je dit, préférant partir pour ne pas entendre la suite.