The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky à l’Opéra de Rouen

13 décembre 2016


Première mise en scène d’un opéra par David Bobée (héros local), The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky est présenté ce dimanche seize heures à l’Opéra de Rouen après l’avoir été à Caen où la renommée grandissante du jeune metteur en scène avait attiré un journaliste de Libération qui en a dit du bien tout en critiquant la direction sans relief de l’Orchestre de là-bas. Ici, c’est Leo Hussain, donc un bon, qui va diriger l’Orchestre de la maison, lequel dans la fosse est occupé à s’accorder.
Je suis en fond d’orchestre d’où l’on a bonne vue sur la scène mais moins sur le surtitrage. J’arrive néanmoins à suivre l’histoire de Tom Rakewell, le jeune paresseux quittant sa fiancée, Anne Trulove, sur le conseil d’un malin (ou du malin), Nick Shadow, pour mener une vie de libertin et faire fortune en ville où, après avoir épousé la star du moment, Baba The Turk, il gagnera la folie. Ces quatre personnages sont brillamment interprétés par Benjamin Hulett, Marie Amet, Kevin Short et Isabelle Druel.
L’art contemporain est une des sources d’inspiration de David Bobée, néons, espace quadrillé, mobilier disagne, vidéos figuratives ou abstraites. Le recours à ces images projetées est une petite facilité, parfois bienvenue, mais pas toujours, notamment celles de foules londoniennes qui écrasent ce qui se passe sur le plateau. Cela est un détail, car la musique, le chant, le jeu des interprètes et globalement cette mise en scène qui situe l’action aujourd’hui me vont tout à fait. Malheureusement, je suis gêné par le bruit que fait ma voisine dont les mains s’agitent sur le sac. La spectatrice de devant se retourne plusieurs fois, dérangée elle aussi.
Lorsque je sors à l’entracte, je me trouve face à la Députée Fourneyron qui fait de même en baillant. Les Législatives approchent. Il faut bien aller se montrer même là où on s’ennuie. Les voix des sportifs ne peuvent pas suffire pour espérer se faire réélire.
Revenu dans la salle, je décide pour la suite d’occuper une place restée libre en première rangée de corbeille. Quand je vais récupérer ma veste, ma voisine est en discussion avec la spectatrice de devant au sujet du bruit généré par ses mains.
-Avez-vous été gêné vous aussi, me demande-t-elle.
-Oui, un peu bien sûr, mais je sais que vous ne pouvez pas maîtriser vos gestes.
C’est aussi afin d’avoir de la place pour mes genoux que je migre. Le troisième acte est à la hauteur des deux autres. Il est suivi d’un court épilogue dans lequel chacun des personnages principaux donne sa propre morale de l’histoire.
De copieux applaudissements saluent tous les interprètes (dont les membres du chœur accentus qui ont peu chanté mais fort bien fait les prostituées et les déments), le maestro, les musicien(ne)s invisibles, le metteur en scène et même les machinistes.
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Le livret de The Rake’s Progress est de Wystan Hugh Auden et de son amant Chester Kallman.
Auden, ai-je appris dans le Journal de Thomas Mann dont j’ai terminé la lecture ce dimanche matin au café Le Clos Saint-Marc, fit, à la demande de l’auteur de La Montagne magique, un mariage blanc avec Erika, sa fille lesbienne, pour que celle-ci puisse obtenir des papiers britanniques afin de fuir le nazisme.
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Sur les affiches et le livret programme de The Rake’s Progress une image qui n’a rien à voir avec le spectacle. Elle montre un jeune garçon, torse nu, s’écrasant tête la première sur un matelas, comme tombé du ciel. Impossible sur les documents de l’Opéra de trouver à qui elle est due.
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Au fil des saisons, je vois décliner les abonné(e)s âgé(e)s de l’Opéra de Rouen. Certain(e)s disparaissent. Ainsi le vieux ronchon à béquille, la vieille anorexique, la vieille babacoule, la vieille élégante à chapeau démodé. Mort(e)s ou plus capables de sortir de la maison. De la dame aux cheveux blancs, je peux avoir des nouvelles par l’homme au chapeau.