Un déjeuner rouennais avec Maria au restaurant Un grain de… rue Cauchoise

20 novembre 2017


Il y a celui, vivant à Paris, qui lorsque je lui ai dit que je ne me sentais pas de l’accueillir chez moi pour une nuit comme il le souhaitait, m’a répondu : « Ce n’est pas grave, je ne t’en veux pas, cela ne change rien ». Il y a celle, vivant à Caen, à qui j’ai dit pareillement et qui m’a répondu la même chose.
Le premier m’a rayé de ses tablettes. La seconde était sincère. Le prouve à nouveau la proposition qu’elle m’a faite : l’accompagner au concert donné au Cent Six ce vendredi soir par Einstürzende Neubauten, pour lequel elle avait deux places gratuites. Je n’ai pas voulu donner suite : le même soir, il y avait Emanuel Gat et Awir Leon à l’Opéra de Rouen ; mais on se retrouve le lendemain.
Je n’ai pas revu Maria depuis sa parenthèse parisienne de deux mille quinze. Nous avions alors déjeuné aux Mousquetaires, rue Saint-Antoine, et pris un café au Rivolux. Venant de l’Hôtel de l’Europe où elle a passé la nuit, elle me rejoint ce samedi, un peu avant midi, devant la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier. Pour déjeuner, nous n’allons pas loin.
J’ai connu la patronne d’Un Grain de… quand elle tenait l’un des restaurants de la rue Eau-de-Robec mais n’avais pas encore eu l’occasion d’entrer à sa nouvelle adresse où même le samedi elle propose un menu complet avec quatre choix d’entrées, de plats et de desserts pour treize euros, tout étant fait maison (comme on dit) et se revendiquant de la « cuisine moderne aux saveurs du monde ». La salle est petite mais il en est une seconde à l’étage.
La commande passée et la bouteille de vin de Saumur arrivée sur la table, Maria me dit combien elle a aimé le concert d’Einstürzende Neubauten, un peu assagi depuis les années quatre-vingt, et je lui explique ma déception à la découverte du SUNNY d’Emanuel Gat et Awir Leon. Ensuite, dégustant la bonne nourriture, nous parlons d’un tas de choses. Enfin, c’est surtout elle qui parle. Bien que mangeant lentement, je finis chaque plat le premier.
La restauratrice, qui n’a pas perdu le grain de folie que je lui connaissais, m’apporte quelques bonbons pour me faire patienter.
-Toutes les femmes sont bavardes, déclare-t-elle.
C’est la généreuse Maria qui règle l’addition. Je l’inviterai à mon tour au printemps prochain lorsque j’irai à Caen pour enfin découvrir la Bibliothèque Alexis de Tocqueville.
Afin de boire le café dans un endroit moins bruyant, nous traversons la rue Cauchoise pour entrer au Sacre. Le calme est cependant relatif, la faute à une radio publicitaire qui y est diffusée en permanence comme dans presque tous les cafés de Rouen. Maria m’y raconte les bonnes affaires que lui a permis sa venue à Rouen : trois petites chimères achetées en chemin dans un vide maison d’anciens bouchers de Pont-l’Evêque et un livre de Sénèque trouvé près d’un distributeurs de billets rouennais, puis elle me montre des numéros du Voyeur, récente revue caennaise consacrée à l’érotisme. Je n’en fais pas l’achat pour la raison que, maladie de l’époque, cela est trop sage, on ne voit rien.
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Rouen, place Saint-Marc, le patron d’un bar où je prends un second café un peu plus tard à l’un de ses clients de comptoir qui déprime : « L’hiver c’est triste hein ? Ça sent la mort. Allez, un bon suicide… »