Un mercredi à Paris, de bus en bus

8 novembre 2019


Pourquoi donc, certaines semaines, la Senecefe refuse-t-elle les billets au meilleur prix pour le sept heures cinquante-neuf qui n’est jamais complet et les autorise-t-elle pour le sept heures vingt-huit dans lequel s’entassent celles et ceux qui vont travailler dans la capitale ? C’est encore le cas ce mercredi. D’où ma présence dans la bétaillère du labeur, alors que j’aurais préféré l’autre, et je ne suis sans doute pas le seul. En conséquence, certains navetteurs commencent leur journée assis dans les marches pendant une heure et quart. Pas un bruit ne se fait entendre chez les assis dans la voiture où je suis. J’y lis Air de la solitude et autres écrits de Gustave Roud (Poésie/Gallimard) dont le lyrisme paysan me laisse de marbre.
A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt-Neuf qui part une minute plus tard. Cela me permet de faire le tour du marché d’Aligre avant qu’il soit dix heures. Un serveur a rejoint la nouvelle équipe du Café du Faubourg, auprès de qui je ne m’attarde pas. Chez Book-Off, le personnel se réjouit du calme et je déplore de ne trouver qu’un livre à un euro à mettre dans mon sac : Chants orphiques de Dino Campana (Allia).
Voulant rejoindre le Quartier Latin je prends par erreur un bus Soixante-Seize. De plus, il est en service partiel, ne va pas plus loin que la Bastille. Je me récupère en montant dans le Quatre-Vingt-Sept qui arrive derrière. Je découvre ainsi qu’il fait partie de ceux dont le trajet a été modifié. Finie la rue des Ecoles, il suit les quais. J’en descends à celui de Montebello. Rien n’a changé du côté de la Cathédrale éventrée.
Il est midi quand j’entre au restaurant devenu franco-chinois La Cochonnaille où l’on écoute Radio Nostalgie. Le menu à douze euros est inchangé et j’ai toujours droit à un petit pot de rillettes en attendant l’entrée. Une serveuse arrive essoufflée, problème de bus après un rendez-vous avec un professeur de médecine dans le service duquel elle doit faire un stage. On y traite les cancers gastronomiques.
-Euh, la gastronomie, c’est ici, lui dit la patronne.
-Comment on dit alors ? Il est spécialisé dans celui du pancréas.
Une arrivée de clients met fin à cette conversation, des collègues de travail dont une Colombienne végétarienne. Leurs échanges sur le mode de la plaisanterie perpétuelle ne me font pas regretter d’être seul.
Ce n’est pas la nostalgie qui me ramène boulevard Saint-Michel, même s’il est sûr que j’aimerais y croiser encore Aguigui Mouna et les Hare Krishna. J’entre au Gibert Bleu, qui lui n’a pas changé depuis la première fois où j’y mis le pied, au début des années soixante-dix. J’y trouve pour onze euros dix le Journal particulier (1936) de Paul Léautaud (Mercure de France).
C’est avec le bus Vingt-Sept qui frôle toujours la Pyramide du Louvre que je rejoins l’autre Book-Off. M’y attendaient plus de livres à un euro que je ne l’espérais, dont Irène Némirovsky, biographie de Jonathan Weiss (Le Félin), Jules, recueil des nouvelles d’Henri-Pierre Roché (L’Herne), le numéro sept des Cahiers d’études Léo Ferré consacré à Marseille (Le Petit Véhicule) et la Correspondance de Roger Caillois et Victoria Ocampo (Stock).
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Innovation bienvenue chez Gibert Jaune à l’étage Littérature : un rayon Correspondances et Journaux Intimes, dans lequel je reviendrai fouiller.
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Le terminus du bus Vingt-Neuf : Porte de Montempoivre. Ce qui fait rêver mais doit décevoir.
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Conversation de commerçants en ligne à la Ville d’Argentan :
-On est sur le concept d’une boutique qui évolue en fonction du vote des internautes.
-Nous, on joue sur la rupture prochaine, plus que deux de disponibles, c’est malin.
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Le poète vaudois Gustave Roud est mort il y a un quart de siècle, à soixante-dix-neuf ans. Sa mort n’a pas fait plus de bruit que sa vie. écrit Philippe Jaccottet en ouverture de sa préface à Air de la solitude et autres écrits. De ce poète, ceci, quand même : Je suis moi par habitude, comme une salle d’auberge vide qui se souvient de ses hôtes absents, comme un carrefour abandonné.