Un mercredi à s’asseoir sur un banc au Père Lachaise

22 février 2019


Première fois de l’année que j’entends piailler les goélands aux aurores, il y a comme un avant-goût de printemps ce mercredi où à mon habitude je quitte Rouen pour Paris. Dans le sept heures cinquante-neuf, j’ouvre Entretiens d’Arthur Schopenhauer publié par Criterion, tandis que la cheffe de bord déclare que la composition du train étant défaillante, la voiture six a le visuel d’une voiture de première classe car c’est une voiture de première classe mais les voyageurs y ayant une réservation de seconde sont invités à s’y installer. Il me faut peu de temps pour être déçu par mon livre qui ne mérite pas son titre car il s’agit de propos rapportés par des interlocuteurs du philosophe.
Au Book-Off de Ledru-Rollin, je fais provision de livres à un euro parmi lesquels L’Horizon chimérique suivi de Les Dimanches de Jean Dézert de Jean de La Ville de Mirmont dans une réédition à la demande aux pages non coupées de celle de mil neuf cent vingt-neuf chez Bernard Grasset, Nouvelles de France de Mavis Gallant publié par Encre de Nuit en deux mille trois où figure un texte sur Léautaud et Zouc publié par Balland en mil neuf cent soixante-dix-huit dans lequel se cache Zouc par Zouc d’Hervé Guibert. D’autres tentent de vendre. Une ancêtre propose deux documentaires dépenaillés pour adolescents que l’employée lui refuse illico. Dépitée, elle quitte les lieux en pestant : « Les Français sont riches, faut croire ».
Au marché d’Aligre apparaissent des livres nouveaux dont deux ou trois me tentent un peu mais je résiste et prends le chemin qui mène au Palais de Pékin. « benalla sparadrap » est-il écrit en minuscules et en cursive sur un mur. Le voilà collé au trou, ai-je lu dans Le Parisien.
Mon repas chinois à volonté avec un quart de vin blanc ne me coûte que douze euros, raison pour laquelle je suis entouré ce jour de retraités solitaires dont c’est ici la cantine. Je passe par la Petite Rockette où j’achète un euro le Journal de bord d’Henry de Monfreid (Arthaud) puis, le soleil aidant, je vais m’asseoir sur un banc du Père Lachaise.
Autant que les églises, les cimetières sont lieux érotiques. Je m’attends à voir sortir deux garçons du monument de la famille Gay dont la porte est entrouverte, mais c’est un chat qui vient me miauler.
-Je n’ai rien à manger, lui dis-je en le caressant.
Il comprend et va chercher pitance ailleurs. Une corneille se sert de ses pattes pour bloquer la nourriture qu’elle déchiquette avec son bec.
Passent deux branlotines et un branlotin :
-Moi, dit-il, il y a un truc que j’aimerais faire.
-Les catacombes ? demande l’une.
-Non, Auschwitz.
                                                                  *
Au second Book-Off, je ne trouve pour me plaire à un euro que Proust et les écrivains devant la mort de François-Bernard Michel (Grasset). Iggy Pop y chante en français Joe Dassin, Serge Gainsbourg, Edith Piaf, Henri Salvador et Georges Brassens avec un accent de mangeur de patate chaude. Je n’aurais jamais cru une telle chose possible.